[Que sont-ils devenus ?] Florence Reuter : «En politique, j’ai trouvé le travail de journaliste tel que je l’ai rêvé !» (interview)

[Que sont-ils devenus ?] Florence Reuter : «En politique, j’ai trouvé le travail de journaliste tel que je l’ai rêvé !» (interview)
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Visage phare du journal télévisé de RTL-TVI dans les années 2000, Florence Reuter a tout quitté pour la politique, en 2007. L’ex-journaliste explique le choix de sa nouvelle vie.

Si un jour, on avait dit à Florence Reuter qu’elle serait bourgmestre de Waterloo, elle ne l’aurait pas cru. D’autant que l’ex-journaliste de RTL-TVI n’est pas une waterlotoise pur jus. «Je suis originaire de Nivelles, et mon mari venait de la périphérie nord de Bruxelles. Quand on s’est installés, on a coupé la poire en deux», raconte Florence Reuter.

Jusqu’il y a quelques mois députée régionale, la «Première Dame de Waterloo» peut aujourd’hui travailler sur le terrain. Chose qu’elle adorait aussi faire dans le journalisme…

Comment êtes-vous arrivée à la télé ?

J’ai un parcours classique. Pendant mes études à l’ULB, j’ai fait un stage à Antenne Centre (La Louvière). Comme il s’est bien passé, j’ai continué à travailler comme étudiante, et j’ai été engagée dès que j’ai été diplômée. Je suis tombée dans la télé par hasard. Je n’avais cette envie de passer à l’écran à tout prix. Mon rêve était d’être grand reporter. Je rêvais d’Albert Londres… de parcourir le monde avec mon sac à dos et de ramener des reportages que ce soit de la photo ou pour la télé. J’ai d’ailleurs fait mon mémoire sur le déclin du grand reportage dans la presse belge.

Vous ne vous êtes pas tournée vers la France pour devenir grand reporter ?

J’y ai pensé, mais la vie a fait que j’avais mes attaches ici, et que je n’ai pas eu le cran de dire «j’y vais !». J’ai eu des contacts avec une chaîne française pour faire du reportage, mais c’était en tant que pigiste avec des conditions pas très avantageuses. Et puis, en Belgique, j’ai toujours eu la chance d’avoir des temps pleins où j’ai pu évoluer très vite. Je suis restée deux ans à Antenne Centre, puis un petit passage par la RTBF et ensuite, j’ai été engagée à RTL. D’abord pigiste où je faisais les gardes et je travaillais beaucoup le week-end. D’ailleurs, même quand je présentais le journal, j’essayais de garder un pied dans le reportage. C’était difficile, mais j’ai pu le faire. À vrai dire, on m’a proposé le poste de présentatrice du JT, et c’est quelque chose qui ne se refuse pas. Mais dans ma tête, c’était un peu trop tôt, et j’ai toujours gardé ce manque de terrain.

Ça vous manque encore aujourd’hui ?

En fait, ce que j’aimais, c’était les tranches de vie et la rencontre avec les gens. J’aurais effectivement pu faire une émission de société à la télé. En politique, je dis toujours que je fais plus de terrain maintenant qu’à la télé. Ici, j’ai des expériences de vies extraordinaires avec la population.

La fonction de bourgmestre, c’est le graal de la proximité…

C’est clair ! Et puis, je suis une vraie curieuse, donc rien ne m’embête. Les citoyens viennent à ma permanence pour des problèmes très différents, et pourtant tout m’intéresse. Et même quand j’étais parlementaire, j’étais aussi très présente sur le terrain parce qu’avant de sortir un texte ou de me battre pour un dossier, je voulais tout connaître de A à Z. Je faisais plus d’investigation sur le terrain qu’à la télé, finalement. J’avoue que j’avais aussi plus de temps pour le faire… Je retrouve en politique un peu le travail de journaliste tel que je l’ai rêvé, sans les voyages et l’instantané de l’info.

Et la neutralité du journaliste ?

Oui, en tant que journaliste, nous sommes muselés et nous devons restés objectifs. C’est vrai que j’avais en moi, une partie de ma personnalité qui avait besoin de s’exprimer, de dire ce qu’elle pense et de se battre. C’est ce qui m’a amenée en politique. Cette envie d’être utile. Je suis profondément attachée à l’intérêt général.

Et pourquoi le Mouvement Réformateur (MR) ?

Pour moi, c’est le parti de la liberté. C’est la vision que j’en avais quand j’étais de l’autre côté, et c’est celle que j’ai toujours aujourd’hui, mais si je ne suis pas forcément d’accord sur tout. C’est ça aussi qui fait la richesse d’un parti : le débat et la discussion. Il y a une différence dans mon parcours avec d’autres journalistes qui font de la politique, c’est que je n’ai pas été courtisée par aucun parti que ce soit, c’est moi qui ai pris la décision de partir, alors que je n’étais pas sur une voie de garage à RTL et que j’avais une situation plutôt confortable. Je pense même que j’avais encore de belles années devant moi à RTL. (Rires) J’avais juste un besoin d’évoluer.

Revenons sur votre parcours… Le bref passage à la RTBF est un bon souvenir ?

Non ! (Rires) J’étais jeune et je cherchais de l’expérience. J’ai répondu à une petite annonce sans trop y croire. Je me suis retrouvée dans quelque chose qui ne me correspondait pas. C’était de l’animation pure où j’étais traumatisée à l’idée de devoir dire un texte que je n’avais pas écrit moi-même. L’émission («La Neuvième case», NDLR) n’a pas du tout décollé, et toute l’équipe se faisait assassiner, toutes les semaines, par le directeur du Centre de Charleroi. C’était l’enfer total ! Ce n’était pas mon élément et l’ambiance était détestable. Quand ça s’est arrêté, on m’a proposé la météo. J’ai refusé. Je ne dénigre pas le métier d’animateur. C’est un talent que je n’ai pas. Je suis incapable de meubler.

Au Parlement, vous deviez avoir de la «tchatche» aussi…

Jamais sur un dossier que je ne connaissais pas. Il y a des tribuns reconnus dans l’hémicycle, mais je n’ai jamais pu faire une tribune sur quelque chose que je n’ai pas travaillé.

RTL est venue tout de suite vous chercher ?

Après le désastre sur la RTBF, je suis retournée à Antenne Centre. Là, j’ai été approchée par Télé-Bruxelles, mais manque de bol, le budget pour une nouvelle recrue n’a pas été libéré, et le projet est tombé à l’eau. Pour la petite histoire, c’est pendant ma fête de départ que je reçois le coup de fil du directeur qui m’annonce la mauvaise nouvelle… Au même moment, RTL cherchait des journalistes audiovisuels, et j’ai passé des tests. L’aventure RTL commence là.

Il y a eu une petite polémique avec Frédérique Ries…

Après un an à RTL, on m’a demandé de faire des essais au JT pour faire des remplacements l’été pendant les vacances de Frédérique Ries. Quand je suis rentrée de mes congés, à la fin du mois d’août, il y a eu une «Une» du quotidien La Dernière Heure (DH) qui titrait «Frédérique Ries virée». Je suis arrivée en réunion de rédaction avec le journal… Personne n’était au courant dans la rédaction. Et c’est là que mon rédacteur en chef m’a dit : «Ah oui, il faut qu’on te voit…» Je pense que le départ de Frédérique s’est joué, en coulisses, quelques semaines avant son départ, mais je n’en savais rien. Et au sein de la rédaction, ça a été la douche froide.

On vous a longtemps comparées…

C’était facile. Je suis blonde et j’ai les yeux bleus. Frédérique était une bonne journaliste, ce n’était pas honteux d’être comparée à elle. Après, ça ne doit durer qu’un temps, toujours affirmer que je suis «la copie» d’une autre, ce n’est pas valorisant. J’ai aussi une personnalité. Sur ce coup-là, RTL n’a pas été réglo. Je me suis retrouvée devant le fait accompli. Ils ont licencié une personne, il fallait une femme pour la remplacer au JT, et j’étais la seule qui avait été testée à l’antenne jusqu’à présent. J’étais jeune et j’avais une opportunité à saisir. C’est la façon dont ça s’est passé qui a été surtout difficile. J’aurais préféré qu’on m’appelle avant plutôt que de tout lire dans la presse. À titre personnel, il n’y a pas de conflit avec Frédérique Ries, mais vis-à-vis de l’extérieur, les gens pensent que je l’ai poussée vers la sortie. Ce n’est pas le cas.

La télé aide à faire de la politique ?

Ce serait mentir que de le nier. L’électeur votera plus facilement pour quelqu’un qu’il connaît déjà. Je savais que j’allais être taxée d’attrape-voix. J’ai fait ma campagne sans être certaine d’être élue puisque j’étais 4e sur la liste. Je suis arrivée au sein du parti en toute humilité. Ce que je voulais avant tout, c’est acquérir une crédibilité vis-à-vis de mes pairs. La notoriété à la télé ne suffit pas pour être parlementaire. Je l’ai démontré par mon travail, et je le fais encore aujourd’hui à Waterloo.

On ne vous a jamais proposé de poste ministériel ?

À la Région (où Florence Reuter se présentait, NDLR), non puisque nous sommes dans l’opposition. Et au fédéral, je n’étais pas dans le casting de Charles Michel. Ce n’est pas mon plan de carrière, mais c’est un peu comme le fauteuil du JT, ça ne se refuse pas. Je ne suis pas carriériste. La preuve, mon parcours qui n’est fait que d’opportunités. Au plan local, je n’avais jamais caché mon envie de devenir bourgmestre. Je suis assez cohérente dans mes engagements, j’ai toujours dit que je privilégierais ma commune.

Au Parlement, les matières audiovisuelles vous intéressaient ?

Oui et non. Ça m’intéressait, mais j’ai volontairement rejeté l’idée de faire partie de la commission «Audiovisuel». Je ne renie pas mon passé, mais je ne voulais pas, en tant que femme politique, être l’ancienne de la télé. Aujourd’hui, que ce soit dans la population ou au sein de mes collègues, la transition est faite.

Vous imaginez revenir un jour à la télé ?

Non… Je ne dis pas que ça ne m’amuserait pas de participer à des émissions, même en dehors du sérail politique. Pour le bicentenaire de la Bataille de Waterloo, j’ai fait des duplex, et c’est vrai que les réflexes sont toujours là. Mais refaire une carrière à la télé… à partir du moment où on s’est engagé dans un parti politique, ce sera difficile de revenir. En termes de crédibilité, on ne pourrait plus me voir comme une journaliste objective. Par contre, si je devais refaire un JT aujourd’hui, je suis sûre que je serais meilleure, parce que j’ai vu ce que c’était que la politique de l’intérieur. Je connais les rouages et je les comprends beaucoup mieux.

Quel regard portez-vous sur la télévision ?

J’aurais toujours un œil un peu critique. Je peste encore parfois devant un reportage… Je regarde très peu la télé, et même les JT parce que je rentre tard. Je trouve que certains journalistes devraient s’écouter parler. L’important doit être l’invité ou le reportage, pas le présentateur…

Que pensez-vous de l’évolution du JT de RTL ?

Ça ne m’a pas impressionné outre mesure. Je suis plutôt sensible au contenu qu’au contenant.

Tant RTL que la RTBF tendent à réduire le débat politique dans leurs émissions d’information. Quel est votre sentiment ?

Revoir les formules pour en faire quelque chose de plus intéressant pour le grand public, c’est une bonne chose. Il faut se remettre en question. Par contre, supprimer complètement le débat, ce serait une erreur. Il y a déjà un tel décalage entre la population et le monde politique qu’il y a un vrai rôle d’information à faire. En France, il y a des tas d’émissions politiques, avec des experts, sur toutes les chaînes, et le public semble demandeur même si ce n’est pas la meilleure audience.

Cette année, les débats du dimanche étaient essentiellement un combat idéologique entre le PS et le MR…

Il y a des tas de sujets qui intéressent plein de gens, et dont on ne parle jamais. On va préférer des petites phrases, des querelles entre l’un et l’autre ou des membres du gouvernement… Prenons l’exemple de France 3 : tous les jours dans «Le Grand Soir 3», il y a un invité politique qui est un illustre inconnu qui vient parler d’une matière précise. Ce n’est pas pour autant embêtant. Cette interview dure quelques minutes et parle d’un sujet qui touche vraiment les gens. Il y a aussi chez nous des hommes et des femmes politiques qui sont sur des dossiers importants pour les gens, et dont on ne parle jamais. Et quand une matière est moins porteuse, c’est au journaliste de la rendre intéressante.

Si c’était à refaire ?

Je ne suis pas du genre à regarder dans le rétroviseur. J’ai tendance à aller de l’avant. J’ai fait un choix de vie et je l’assume. J’y trouve du plaisir, c’est que ça va…

Entretien : Pierre Bertinchamps

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