Voyage en déraison

"Un fou" - Jan Metsys © ARTLINE FILMS SARL

Entre le XIIIe et le XVIe siècle, la notion de folie a stimulé la création artistique, la littérature et la peinture. Mais qui était considéré comme fou ?

En parallèle à l’exposition que le Louvre consacre aux « Figures du fou, du Moyen Âge aux Romantiques » jusqu’au 3 février 2025, Arte propose, ce dimanche, une histoire de leurs avatars artistiques.

« C’est le Moyen Âge qui a donné corps à la figure subversive du fou », expliquent Élisabeth Antoine-König et Pierre-Yves Le Pogam, commissaires de l’exposition. « Le Moyen Âge est complètement fêlé. Les épidémies, les hérésies, les guerres et les mutations politiques ébranlent les fondations d’un monde millénaire rassurant, protégé par la toute-puissance de l’Église catholique. La figure du fou incarne ces contradictions et cristallise les angoisses. »

L’incroyant

Pour l’homme médiéval, la folie est avant tout méconnaissance et absence d’amour pour Dieu. La raison est un don de Dieu et déraisonner signifie qu’on est possédé par le diable. Ne pas croire en Dieu, au Jugement dernier, à l’enfer, est assimilé à la folie et l’Église de Rome en fait le symbole de sa lutte contre les hérétiques. Inversement, il existe des « fous de Dieu », des bons fous, tel François d’Assise qui voue un amour démesuré aux exclus.

L’amour fou

Un nouveau sentiment apparaît dans les romans de chevalerie (Yvain, Perceval, Lancelot…) : la folie amoureuse, qui va ébranler l’ordre social des princes et des chevaliers. L’amour est magnifié, mais considéré comme une folie. Si Tristan et Iseut sont amoureux, c’est parce qu’ils ont été drogués par un philtre. Les amants sont voués à la mort et montrent l’exemple à ne pas suivre : il faut se prémunir de la passion…

Le fou du roi

Au XIVe siècle, le fou devient une figure politique et se décline dans un nouveau personnage : le bouffon, présent dans toutes les cours d’Europe. Le moindre petit baron veut le sien. Le fou de cour est là pour divertir, mais aussi pour porter la contradiction, avec beaucoup d’esprit, de répartie et de finesse diplomatique. Il est intelligent et sa parole ironique est acceptée.

Critique sociale

Peu à peu, la folie incarne une forme de résistance aux puissants. Le XVe siècle est celui de l’expansion de la figure du fou, liée aux fêtes carnavalesques. Elle véhicule les idées les plus subversives et jouera un rôle dans la Réforme. Promesse de désordre, la folie appelle à la révolte.

Au tournant de la Renaissance, les artistes sont hantés par l’imaginaire de la déraison et leurs images traduisent leurs visions hallucinées. De Jérôme Bosch et Brueghel l’Ancien au Quasimodo de Victor Hugo, jusqu’à « La Nef des Fous » de Sébastien Brant et « L’Éloge de la folie » d’Érasme, la possession par la folie obsède peintres et écrivains. Sur un de ces tableaux, un barbier procède à une trépanation pour extraire la pierre de folie. Sur un autre, un boulanger cuit dans son four les têtes de fous décapités…
Mais dès le XVIe siècle, l’Époque moderne va s’affranchir du Moyen Âge et reléguer le fou au second plan. Son humour n’est plus toléré et doit disparaître. Il resurgira dans l’art, sous d’autres formes, au siècle des Lumières. Alors que des conflits déchirent l’Europe, Goya peint la folie de la guerre et la victoire de la mort. La figure du fou revient en force avec les artistes romantiques.

La maladie des artistes

Au XIXe siècle, des artistes cherchent des sujets à peindre à l’intérieur des asiles. Le spleen devient le mal du siècle, la folie est considérée comme une grave mélancolie, la maladie des artistes. L’art devient alors l’expression des états d’âme, le refuge des fêlures humaines, de la fragilité…

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