Valerie Solanas, celle qui tira sur Andy Warhol

Valerie Solanas, de victime à bourreau © Arte/Magneto/Fred. W. McDarrah
Giuseppa Cosentino Journaliste

Le 3 juin 1968, une féministe sort de l’anonymat en tirant plusieurs coups de feu sur le pape du pop art américain. Son nom est Valerie Solanas. Son but ? Éradiquer le sexe masculin…

«Je suis une et toutes les femmes. Je suis celle qu’on a fait passer pour folle et qu’on a enfermée. Je suis votre plus grande terreur. Je suis la femme qui a tiré sur Andy Warhol», scande la voix off du documentaire «J’ai tiré sur Andy Warhol – Scum Manifesto», diffusé mercredi à 22h40 sur Arte. Sans ce «coup médiatique», l’éditeur Maurice Girodias avoue qu’il n’aurait jamais publié le «SCUM Manifesto» de Valerie Solanas, pamphlet considéré aujourd’hui comme un texte fondateur du féminisme radical.

Scène de crime

New York, printemps 1968. Dans sa mythique Factory aux murs d’argent, Andy Warhol voit défiler, jour et nuit, des artistes de tous horizons. Jusqu’à cette fusillade où l’insouciance a basculé. Ce jour-là, Valerie Solanas, lesbienne militante, tire trois coups de feu en direction du maître des lieux avant que le pistolet ne s’enraie. Une balle lui transperce plusieurs organes vitaux. Si le dandy excentrique survit miraculeusement, il sera contraint de porter un corset à vie ! Son compagnon, Mario Amaya, est touché à la hanche. Valerie lâche l’arme et quitte la scène. Direction le commissariat où elle affirme «ne rien regretter», si ce n’est de l’avoir manqué… Diagnostiquée schizophrène paranoïde, elle écope de trois ans de prison et de soins psychiatriques.

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Une sentence qu’elle juge inadaptée. Elle n’est pas folle, mais victime d’un complot ! Pour comprendre la genèse du conflit, il faut remonter un an plus tôt. Contrainte de mendier et de se prostituer «en attendant la gloire», Solanas présente sa pièce de théâtre à Warhol dans l’espoir qu’il la produise. Son œuvre, délicatement intitulée «Up Your Ass» («Dans ton c…»), narre l’histoire d’une prostituée haïssant les hommes au point d’en tuer un. Prémonition ? Jugeant la pièce obscène, Warhol la met de côté et… l’égare. Pour se faire pardonner, il lui octroie un petit rôle dans deux de ses nanars érotiques. Pas suffisant ! La féministe vient tout juste de terminer son hargneux «SCUM Manifesto» («Scum» pour «Society for Cutting Up Men» ou «Société pour la castration des hommes»). Un «beau» programme qu’elle distribue à 1 $ en attendant d’être publiée. Après un contrat décevant avec l’éditeur Girodias, elle se persuade que les deux hommes conspirent contre elle : l’un lui a volé son texte, l’autre tente de l’arnaquer. Pour exister, il faut frapper fort !

Haine des hommes

Sur la domination masculine, Solanas en connaît un rayon. Violée par son père, battue par son grand-père alcoolique, elle n’a que 15 ans lorsqu’elle se retrouve à la rue. Mère à 16 ans, elle confie son fils – fruit de la prostitution ? – à l’adoption. Malgré un parcours difficile, elle intègre l’université de Maryland et obtient brillamment un diplôme de… psychologie ! À sa sortie de prison, en 1971, elle continue de harceler Andy Warhol. Ce qui lui vaut plusieurs internements. Elle meurt à 52 ans, en 1988, des suites d’une overdose, dans un hôtel miteux de San Francisco. De son côté, le représentant du pop art sera marqué à vie. En témoigne sa série de crânes et d’armes à feu. Ce n’est que bien plus tard, en 1999, que l’on retrouvera, au fond d’une malle, «Up Your Ass»…

Cet article est paru dans le Télépro du 21/3/2024

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