Une histoire de la haine des Juifs

Un pommeau de canne représentant une tête stéréotypée : nez fort, sourcil épais et chapeau rond... © Arte/Effervescence Productions

Pourquoi la haine des Juifs n’a-t-elle cessé de renaître au fil des époques ? De l’antijudaïsme à l’antisémitisme moderne, «Histoire de l’antisémitisme», une série documentaire diffusée sur Arte ce mardi à 20h55, explore le phénomène, de ses origines jusqu’à nos jours.

En quatre épisodes, le réalisateur Jonathan Hayoun dissèque les mécanismes de l’antisémitisme depuis l’Antiquité, mettant en lumière les permanences et les évolutions. Entretien.

Jonathan Hayoun, quelles étaient vos intentions de départ et les écueils que vous souhaitiez éviter ?

Avant tout, notre récit devait être le plus rigoureux possible. Nous nous sommes appuyés sur les travaux de près de trente chercheurs issus d’une dizaine de pays différents. L’enjeu était ensuite de rendre sensible la permanence de l’antisémitisme depuis l’Antiquité, tout en éclairant la façon dont il se recycle selon les époques. Enfin, il était essentiel que ce récit ne se limite pas à une histoire de violences visant des victimes passives : il était essentiel d’éclairer le combat de ceux qui ont lutté contre l’antisémitisme dès ses origines.

Pour remonter à l’Égypte ancienne, comment avez-vous procédé ?

Un partenariat avec Ubisoft, qui réalise les reconstitutions historiques en 3D les plus abouties du secteur, nous a permis d’utiliser des extraits de plusieurs éditions du jeu vidéo «Assassin’s Creed», mettant en scène l’atmosphère et les paysages de l’époque. À cela nous avons mêlé des animations, les archives existantes et des images de tournage en Europe sur les traces encore vivantes de cette histoire.

Comment passe-t-on de l’antijudaïsme religieux à l’antisémitisme ?

Cette transformation progressive survient à partir du moment où l’on ne déteste plus seulement les Juifs parce qu’ils pratiquent une religion différente, mais parce qu’ils seraient les serviteurs du Mal et la cause de tous les maux. Certains historiens situent cette bascule au XIVe siècle, avec l’invention des lois de pureté de sang en Espagne. D’autres se focalisent sur l’invention du mot «antisémitisme», au XIXe siècle. Quoi qu’il en soit, ce qui était jusqu’alors un outil religieux devient un instrument politique.

Les stéréotypes antijuifs ont souvent des racines très anciennes…

Au fil des époques, les prêcheurs de haine recyclent des motifs enracinés dans des siècles d’imagerie. Le nez crochu et le port d’un signe distinctif de couleur jaune apparaissent ainsi dans les iconographies chrétiennes dès le XIIe siècle. L’association entre Juifs et argent apparaît à la même période lorsque, interdits d’exercer certaines professions, les Juifs sont contraints de pratiquer les métiers de prêteurs sur gage et de collecteurs de taxe. Cette stigmatisation se retourne contre eux et on les accuse de vouloir accaparer le pouvoir financier.

Vous pointez les nouvelles formes de l’antisémitisme, parmi lesquelles l’antisionisme radical. N’est-ce pas une assertion plus polémique ?
Non. Si le sujet est plus inflammable, il n’était pas question de l’éviter tant il est présent dans l’antisémitisme du XXe siècle. Il ne s’agit pas de pointer toute critique politique à l’égard de l’État d’Israël tout à fait légitime. L’antisionisme radical peut faire appel à une position de détestation et de diabolisation, ancrée dans des stéréotypes très anciens. On les applique à un État, mais la mécanique est la même : le «complot sioniste» remplace le «complot juif».

Cet article est paru dans le Télépro du 7/4/2022

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