Une «armée des jupons» contre Ford
En juin 1968, les couturières de la plus grande usine Ford d’Angleterre se mettent en grève. Leur exigence ? Être payées comme les hommes !
Alors que les femmes continuent, à travers le monde, de réclamer l’égalité salariale avec les hommes, le documentaire «D’après une histoire vraie» (dimanche 18.25, Arte) revient sur un épisode méconnu des luttes sociales anglaises : la grève des couturières d’une usine Ford, déjà racontée dans le film de Nigel Cole «We Want Sex Equality» (2010).
L’histoire se passe à Dagenham, dans la banlieue de Londres, au bord de la Tamise. C’est là qu’au début du XXe siècle, le constructeur américain Ford installe ce qui deviendra la plus grande usine automobile d’Europe. Si, pendant des années, les voitures sont façonnées par des milliers d’ouvriers disciplinés, surnommés les «Ford Men», la Seconde Guerre mondiale va changer la donne.
Participant à l’effort de guerre, les femmes rejoignent les rangs des travailleurs et, au sortir du conflit, elles sont plus de deux mille à Dagenham. À partir des années 1960, les femmes constituent une force de travail de plus en plus visible.
Les femmes s’émancipent
Dans l’usine Ford, 187 ouvrières sont chargées de la fabrication des sièges de voiture, étape indispensable dans la chaîne de production. Lorsque la direction réorganise l’entreprise en 1968, ces couturières se voient déclassées malgré leurs compétences et leurs qualifications. Immédiatement, la résistance s’organise. Après un premier arrêt de travail, elles menacent la compagnie de se mettre en grève si elles n’obtiennent pas la reconnaissance de leur savoir-faire.
Face au silence de Ford, les 187 couturières excédées stoppent leurs machines le 7 juin. Dans la lignée de ces Britanniques qui se sont battues avant elles pour le droit des femmes et qui ont déjà obtenu le droit de vote, la pilule et le droit à l’avortement, les ouvrières de Ford sont déterminées à aller jusqu’au bout de leur combat. Parfois désorganisées, mais soudées, elles affrontent ensemble les journalistes qui ne les prennent pas au sérieux et les surnomment «l’armée des jupons» («Petticoat Army»).
Malgré un manque de soutien des syndicats, les grévistes tiennent bon et vont même jusqu’à crier leurs revendications dans les rues de Londres et devant la Chambre des communes.
Crise sociale et… politique
Chez Ford, la tension monte car ce mouvement paralyse toute l’industrie automobile : des milliers d’ouvriers sont mis au chômage technique et les chaînes de production à l’arrêt. Les pertes financières sont considérables pour le géant américain et l’affaire ne tarde pas à atteindre la sphère politique.
Sommée de trouver une issue au conflit social, Barbara Castle, secrétaire d’État à l’emploi et à la productivité, y voit l’occasion de faire passer une loi pour laquelle elle se bat depuis ses débuts en politique… Celle qui est surnommée la «Margaret Thatcher de gauche» reçoit une délégation de couturières. Au terme d’une discussion de sept heures (de laquelle les hommes ont été congédiés), Barbara Castle les convainc de reprendre le travail en échange d’une hausse de salaire de 7 % et d’une législation pour l’égalité salariale.
«Nous avons gagné une bataille, mais perdu la guerre», commente avec regret l’une des grévistes. Après trois semaines de grève, les ouvrières reprennent le chemin de l’usine, non sans avoir marqué un tournant dans l’histoire du mouvement féministe britannique et inspiré de futures militantes. Et, après le vote de l’Equal Pay Act en 1970, les désormais célèbres couturières obtiennent enfin, en 1984, leur qualification comme ouvrières spécialisées, seize ans après leur première lutte !
Cet article est paru dans le Télépro du 15/7/2021
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