Ukraine : guerre et prêches
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine fait aussi rage sur le plan religieux et divise l’Église orthodoxe. Ce mardi à 22h25, Arte diffuse le documentaire «Poutine/Zelensky : deux hommes en guerre».
Le 21 février 2022, la guerre entre la Russie et l’Ukraine n’a pas encore officiellement commencé. Toutefois, Vladimir Poutine ne laisse plus planer le moindre doute sur les intentions du Kremlin. Dans un discours télévisé à la nation, le président russe reconnaît l’indépendance de Donetsk et de Lougansk, les deux républiques séparatistes prorusses en Ukraine. Il accuse notamment le gouvernement Kiev de préparer un génocide «qui touche quatre millions de personnes» russes et russophones habitant le pays.
Mobile religieux
Un des arguments qu’il utilise pour justifier sa prise de position concerne la religion. «Kiev continue de préparer une répression contre l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou», déclare-t-il. «Les autorités ukrainiennes ont cyniquement transformé la tragédie de la scission de l’Église en un instrument de politique d’État.» Trois jours plus tard, les chars russes franchissent la frontière ukrainienne, la religion est envoyée en première ligne, aux côtés des militaires.
Guerre de clochers
En réalité, cela fait un certain temps que le torchon religieux brûle entre Moscou et Kiev. L’annexion de la Crimée a mis le feu aux poudres en 2014. À l’époque, l’invasion passe mal dans une partie de l’Église orthodoxe ukrainienne qui dépend intégralement de celle de Russie. En 2015, le Patriarcat de Kiev proclame son autonomie vis-à-vis de Moscou. L’indépendance reçoit le feu vert du Patriarcat œcuménique de Constantinople (Istanbul) trois ans plus tard. Elle est officialisée en 2019, contre l’assentiment du Patriarcat de Moscou qui refuse de la reconnaître. En Ukraine, l’Église orthodoxe est donc coupée en deux : l’une dite «autocéphale», indépendante hiérarchiquement et emmenée par le métropolite de Kiev, tandis que l’autre dépend du patriarcat de Moscou et de son leader, le patriarche Kirill. Ce dernier est, par ailleurs, opposé au désir des chrétiens orthodoxes ukrainiens de prier dans leur langue. Selon le magazine géopolitique Le Grand continent, la première serait aujourd’hui la plus importante en termes de fidèles (15 millions, 25 % de la population) tandis que la seconde (18 % de la population mais 40 diocèses, 200 monastères et plus de 12.000 églises sous son contrôle) serait la plus riche.
Bouclier contre Satan
Retour au discours de Poutine. Si l’un des principaux arguments pour motiver l’invasion est la «dénazification de l’Ukraine», le Président s’appuie aussi sur une justification «mystique» : son opération spéciale serait aussi une guerre sainte avec pour objectif la «désatanisation» du pays. «Lutte contre l’antéchrist pour sauver la civilisation russe face à une attaque de l’Occident décadent», «Appel à l’union des chrétiens et des musulmans contre les forces du mal» : la propagande russe ne mâche pas ses mots. Dans un reportage sur ce sujet, la Radio-télévision suisse rappelle l’attitude du patriarche Kirill, proche du Kremlin, qui parle de «guerre contre le péché». Au moment de la mobilisation, il déclare que «la mort au front est un sacrifice qui lave de tous les péchés». Sur le terrain, les choses sont plus délicates. L’Église autonome dénonce l’agression russe. Quant aux prêtres dépendant de Moscou, ils évitent le sujet ou manifestent même leur opposition pour maintenir le lien avec leurs paroissiens.
Enjeu
Dans ce contexte, le pape François appelle à la paix et essuie les critiques des deux camps. Kiev, berceau du christianisme orthodoxe depuis 988, est un enjeu essentiel. « C’est le leadership dans le monde orthodoxe qui se joue», analyse Le Grand continent. Le Patriarcat de Moscou représente près de deux tiers des orthodoxes (90 millions). Perdre l’Église d’Ukraine autonome (et les patriarcats qui la reconnaissent) pourrait rebattre les cartes. Avec Dieu sait quelles conséquences…
Cet article est paru dans le Télépro du 2/2/2023
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