Trafic des filles de l’Est : briser le silence !

La star ukrainienne Kseniia Mishyna (33 ans) campe une femme ambitieuse et pugnace qui dirige une fondation humanitaire © Arte/ZDF/Beta Films/Drugi Plan/Yury Korniychuk

Basé sur le roman et l’enquête d’un grand reporter slave, l’excellent polar «La Fille de Kiev» est aussi un acte politique à plus d’un titre. À voir ce jeudi à 20h55 sur Arte.

Tournée en partie en Ukraine, juste avant la guerre, cette minisérie illustre l’histoire réelle de l’exploitation sexuelle d’adolescentes en Europe de l’Est. Ce trafic perdure aujourd’hui. Les gangs criminels continuent en toute impunité grâce au silence des civils et des politiques.

e titre anglais du livre à l’origine de cette fiction est d’ailleurs : «The Silence» (de même que la version anglaise de la série). Et c’est pour briser cette omerta en la dévoilant au plus grand nombre que l’écrivain et journaliste d’investigation Drago Hedl a voulu la porter au petit écran, malgré les menaces dont il a souvent fait l’objet.

Honte nationale

Avec la star ukrainienne Kseniia Mishyna dans un des rôles principaux, le feuilleton est réalisé par le cinéaste croate Dalibor Mataniæ (récompensé à Cannes pour «The Paper») qui a pris la caméra comme on se saisit d’un étendard. «Il s’agit hélas d’événements véritables, dont des meurtres de jeunes filles abusées, qui se sont produits en Croatie», dit-il à DQ. «C’est une honte nationale, mais personne n’en parle. Seul Drago Hedl a d’abord écrit de nombreux articles sur l’affaire et ils ont suscité beaucoup de réactions. Mais une semaine plus tard, le silence a repris le dessus. Puis, il a écrit trois livres sur ce sujet. Et à l’émoi, a à nouveau succédé le mutisme ! Nous espérons que la série télé aura plus de portée !»

Noirceur brillante

Pour illustrer le contraste entre l’apparente douceur de vivre au quotidien sous un ciel souvent très bleu, le réalisateur a choisi le registre du «bright noir» souvent usité dans les séries américaines pour traiter des drames entre fatalisme et optimisme. «J’ai pensé à ce style car, comme dans « Twin Peaks » où tout a l’air scintillant et positif, soudain tout est obscurci par le crime. Cela surprend les spectateurs, car vous ne vous attendez pas à voir surgir le mal quand il y a du soleil.»

Sujet social urgent

L’aventure fait la part belle à des personnages féminins forts, comme Olga Romanchenko (campée par Kseniia Mishyna), femme ambitieuse qui dirige une fondation humanitaire et possède un sens aigu de la justice. Sa nièce ayant mystérieusement disparu, elle décide d’enquêter. Rien ne l’arrêtera, même pas la tentative d’intimidation d’un homme très puissant. «Cela a été un rôle difficile à gérer», explique l’actrice. «C’est le genre de tragédie qui existe dans le monde entier, c’est hélas universel. On ne peut pas y être indifférent. Nous avons soulevé une question sociale urgente, mon rôle est donc très dramatique, sérieux et profond. Cette composante émotionnelle a été lourde à porter, surtout lorsqu’il fallait répéter plusieurs fois des prises et des scènes déchirantes.»

Suite en chantier

Cette série de six épisodes aura une suite. Quant à Drago Hedl, il tient à poursuivre son combat. «En 2010, j’ai étudié de près la prostitution enfantine en Croatie», confie-t-il à Humo. «J’ai pu prouver que des proxénètes obligent des filles de 13 à 15 ans à partager le lit de citoyens éminents d’Osijek en échange de cigarettes ou de 5 €  ! L’affaire a été rendue publique mais la police n’a jamais enquêté de manière approfondie et les filles ont eu peur de témoigner au tribunal. Mes livres sont une forme de thérapie : dans ma fiction, je peux punir les auteurs de leurs abus.»

Hélas, dans la réalité, il y a encore fort à faire…

Cet article est paru dans le Télépro du 9/2/2023

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