Total : le mythe du «capitalisme de super-héros»
Derrière le discours de Total, vantant sa conversion aux énergies renouvelables, le documentariste Jean-Robert Viallet met au jour une tout autre réalité, qu’il évoque dans un documentaire diffusé mardi à 20h55 sur Arte : «Le système Total, anatomie d’une multinationale de l’énergie».
Comptant parmi les géants mondiaux du pétrole et du gaz aux côtés d’ExxonMobil, BP, Chevron, Shell, Eni et ConocoPhillips, le groupe Total a récemment fait sa mue. Présente dans cent trente pays, la multinationale aux mille filiales est devenue TotalEnergies en 2021. À grand renfort de communication, elle assure de son engagement sociétal, de sa prise en compte des droits humains et de sa conscience aiguë de la crise climatique. Mais alors que les énergies dites «propres» (éolien, solaire…) représentent moins de 0,5 % de sa production, fait-elle du «greenwashing» à bon compte ?
Jean-Robert Viallet, en quoi consiste le mégaprojet pétrolier de Total en Ouganda ?
Là, TotalEnergies s’inscrit dans la continuité de ce que la compagnie a toujours été : un exploitant pétrolier. En pleine crise environnementale et climatique, ce projet est délirant : 400 forages, dont un tiers dans la plus grande aire naturelle protégée du pays, 230.000 barils extraits chaque jour au pic de production, le plus long pipeline de pétrole chauffé au monde…
Pour quelles conséquences ?
Depuis un siècle, le même drame se reproduit, en Afrique, en Amérique latine, là où opèrent les multinationales de l’industrie extractive : l’accaparement de terres entraîne l’expulsion des familles. Selon une coalition d’ONG ougandaises et internationales, quelque 100.000 personnes seront expropriées en Ouganda et en Tanzanie du fait de ce projet mené par Total, une entreprise nationale chinoise (Cnooc) et les États ougandais et tanzanien.
Ce ne sont pas les seuls effets…
Avec le pétrole vient toujours une cohorte d’effets secondaires : spéculation, prostitution, pollutions et destructions environnementales. Pour capter les images sur la zone pétrolière, j’ai dû tourner à l’abri des radars de la police ougandaise. Certains de mes interlocuteurs ont été interpelés par les forces de l’ordre au lendemain de mon passage.
À Arlington, au Texas, Total exploite le gaz de schiste…
Au Texas, la majorité des habitants est pro-gaz de schiste. Toutefois, certains luttent, inquiets des effets secondaires connus : pollution des eaux, des sols, de l’air. D’autant qu’à Arlington, les sites d’exploitation gazière de Total sont partout, tous les 200-300 mètres, à côté des maisons, à deux pas de crèches, d’écoles… La rue principale est surnommée le «couloir Total».
C’est le pot de terre contre le pot de fer, ici aussi… ?
Entre le moment où j’ai tourné, en novembre 2021, et le début de l’été, la compagnie a obtenu dix-neuf autorisations pour réaliser de nouveaux forages en ville. Total poursuit ses affaires, les habitants, eux, s’interrogent sur une possible corrélation entre ces installations de gaz de schiste et des taux d’asthme et de leucémie bien au-dessus de la moyenne du pays.
Total se targue aussi de fabriquer de l’énergie «propre»…
Total nous a promenés à Oberon, à l’ouest du Texas, pour visiter un site de production d’énergie solaire. L’idée : imprimer sur nos rétines la conversion du groupe aux énergies vertes. Or, tout sonnait faux. Les chiffres l’illustrent : en unité d’énergie produite par Total, le renouvelable ne représente aujourd’hui que 0,38 % ! La major communique ardemment auprès du grand public sur ses engagements verts et, en interne, elle embarque ses salariés dans un capitalisme de super-héros. Après avoir été l’un des plus gros pollueurs du XXe siècle, TotalEnergies serait désormais prompt à s’engager dans la lutte contre le dérèglement du climat. C’est ce discours, répété comme un mantra par la firme française comme par toutes les multinationales du pétrole, qui m’a donné envie de faire ce film, pour mettre en regard la parole et les actes.
Entretien : Raphaël BADACHE
Cet article est paru dans le Télépro du 3/11/2022
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