Tests ADN : un business sans gêne
Savoir d’où viennent ses aïeux, connaître les risques de contracter une maladie… Des sociétés privées promettent de l’apprendre contre une centaine d’euros et… un peu de salive !
En quelques années, l’intérêt pour notre ADN et nos origines a explosé. Selon les prévisions, d’ici fin 2021, plus de 100 millions de personnes à travers le monde auront confié leur ADN à une entreprise privée ! Mais ces tests sont-ils fiables, légaux et sans risques ?
Vendu au Big Pharma
S’il est déconseillé de poster ses portraits sur les réseaux sociaux, imaginez les mises en garde quand il s’agit d’expédier son ADN pour le faire analyser. Pour soi-même, mais aussi pour les proches qui n’ont pas spécialement été consultés pour que le patrimoine génétique qu’ils partagent soit déchiffré !
Dans le secteur, deux entreprises se démarquent : «MyHeritage» et «23andMe». En 2018, la première fait partie des victimes d’un vaste piratage informatique aux États-Unis. Les données de 92 millions de personnes ayant fourni leur ADN lui sont volées avant d’être revendues à un site pirate.
La seconde, en réalité une filiale de Google, a revendu, en 2015, 65.000 profils génétiques à… Pfizer ! En 2018, la société réitère et monnaye la quasi-totalité des infos de ses clients avec le labo pharmaceutique Glaxo-Smith Kline. Des données achetées pour la modique somme de 300 millions de dollars et utilisées ensuite par l’industriel du médicament pour créer de nouveaux remèdes…
Voyage généalogique
Dans le business de l’ADN, «23andMe» va plus loin en s’associant avec la plateforme de location de logements AirBnb. Quel rapport, direz-vous ? Proposer des voyages généalogiques ! «Sur 23andme, une fois qu’un utilisateur aura reçu son rapport généalogique, il pourra cliquer sur ses différentes origines et trouver des logements ou des activités correspondant sur Airbnb», explique la société de location. «S’il s’agit d’ancêtres dans le Sud de l’Italie, par exemple, il trouvera une offre de séjour dans une maison troglodyte dans les Pouilles…»
«Du marketing !»
Une fois la salive crachée dans un tube et expédiée, l’entreprise séquence l’ADN pour le comparer à celui de populations type de la planète. Sans surprise, cet ADN est métissé. C’est notre cas à tous.
Mais est-il possible d’affiner les recherches ? L’équipe du «Scan», sur La Une, a tenté l’expérience en commandant un test à trois labos. Bilan : trois résultats différents ! «C’est du marketing, car les populations que nous connaissons aujourd’hui ont émergé depuis 1.000 ou 2.000 ans. Si vous voulez savoir exactement de quelle région vous venez, ce n’est simplement pas possible», explique à la RTBF Ronny Decorte, responsable du labo de génétique de l’UZ Louvain.
Santé : terrain miné
Si l’aspect «origines» de ce genre de test, qu’il soit exact ou non, est généralement peu lourd de conséquences, on ne peut en dire autant pour le côté «santé». «En raison de la complexité technique de l’interprétation de ce type de résultats, ils devraient de toute façon toujours être lus par un spécialiste», commente, dans Le Soir, Isabelle Migeotte, généticienne à l’hôpital Érasme et chercheuse au FNRS. «Par exemple, le dépistage d’une mutation responsable d’une forme génétique de la maladie d’Alzheimer (…) chez un sujet qui n’a pas de symptômes, doit être motivé par un antécédent familial. De plus, la démarche est toujours encadrée par un psychologue.»
Côté légal : flou total
Contrairement à la France, qui interdit ces tests ADN dits récréatifs, en Belgique, il n’existe pas de cadre légal. «Comme dans beaucoup de matières où la technologie a évolué très rapidement, le droit essaie de rattraper le déplacement de frontières entre le privé et le public», déplore, dans Le Soir, Michel Dupuis, professeur à l’UCLouvain et président du Comité consultatif de bioéthique. «La loi doit être repensée chez nous.»
Cet article est paru dans le Télépro du 10/6/2021
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