Sophie «David» contre Goodyear «Goliath»
La veuve d’un routier cherche l’explication de la mort de son mari. Elle pointe du doigt un défaut de fabrication d’un pneu Goodyear. Ce mercredi à 22h35, Arte relate son combat avec le documentaire «Sophie Rollet contre Goodyear».
Le combat de Sophie Rollet, c’est celui du pot de terre contre le pot de fer. Une lutte menée avec courage, obstination et ténacité par une assistante maternelle française de 49 ans qui veut faire éclater la vérité, seule face à un géant de l’industrie mondiale et à son armée de juristes. Une bataille qui dure depuis huit ans. Elle commence par un drame, le 25 juillet 2014.
Faits divers
Ce vendredi-là, Sophie Rollet et son mari Jean-Paul se lèvent ensemble comme tous les matins, très tôt, à 3 h. Leurs trois enfants dorment, le couple profite du calme pour déjeuner avant que Jean-Paul ne parte avec son camion. Derniers moments passés ensemble…
À 13 h, Sophie profite d’une pause pour regarder le JT. La nouvelle tombe. Autoroute A36, accident, 4 voitures, 3 camions impliqués, 2 morts, au moins. Une journaliste relate les circonstances du terrible crash : «Un amas de tôles noires méconnaissables : c’est tout ce qu’il reste du camion à l’origine de l’accident.»
À 9 heures, un poids lourd transportant des autos neuves a traversé subitement le terre-plein séparant les sens de circulation. Il a percuté deux autres camions circulant en sens inverse. Jean-Paul était au volant de l’un de ces véhicules. Il a été tué sur le coup. L’origine de l’accident semble très vite ne faire aucun doute. Devant les caméras, les policiers évoquent l’explosion du pneu avant gauche.
Affaire classée
Comment Jean-Paul est-il mort ? A-t-il souffert ? La question revient sans cesse dans l’esprit de Sophie Rollet. Elle se penche sur les dossiers auxquels elle a accès. Très vite, elle découvre de petites erreurs dans les procès-verbaux. Apparemment, sans grande importance, même aux yeux de l’avocat auquel elle s’adresse dès le mois d’août. L’affaire est classée en septembre 2015. Ses suspicions de pneus défectueux semblent inaudibles, inconcevables.
L’épouse ne baisse pas les bras. Elle n’est pas seulement veuve, sœur et fille de routier. Elle a aussi été une des premières françaises sapeur-pompier professionnel. Outre son lien avec le milieu professionnel de son mari, son regard sur l’accidentologie et son caractère jusqu’au-boutiste l’engagent à poursuivre. Sans formation particulière, sans accès privilégié aux procès-verbaux, elle se lance dans un travail d’investigation en solitaire.
Un document accablant
Rapidement, elle se met sur la piste de deux autres accidents. Tous deux sont repris dans un rapport de Bea-TT, le bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre. Dans chaque cas, il est question d’éclatement de pneumatiques. Ceux-ci sont de la marque Goodyear Marathon LHS II. «S’il y en a eu deux, y en a-t-il eu d’autres ? Les Goodyear Marathon LHS II explosent-ils plus facilement ?» Sophie Rollet s’accroche.
Elle contacte des journalistes d’investigation. Elle scrute les articles de presse et Internet à la recherche de faits divers similaires. Et elle en trouve trois, quatre, cinq… Elle prend aussi contact avec les unités de gendarmerie en charge des dossiers en France mais aussi avec les polices compétentes en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique.
En Tchéquie, elle découvre un document officiel capital en provenance de Goodyear : un programme d’échange commercial sur lequel figure un Goodyear Marathon. Dans un rapport d’expertise, il est mentionné au client que les pneumatiques de ce type peuvent subir une perte de pression soudaine et entraîner la perte de contrôle du véhicule. Traduction par Gérard Davet, grand reporter au quotidien Le Monde : «Les pneus peuvent éclater à tout moment.» La société propose donc à son client de les échanger. Une véritable bombe !
Affaire à suivre
Au total, 76 cas possibles ont été listés. Tous les pneumatiques possiblement défectueux sont répertoriés et les acteurs du transport peuvent en consulter la liste. Une plainte pour homicide a été déposée contre Goodyear. Le tribunal de Besançon a ouvert une enquête. Le troisième fabricant de pneumatiques au monde réfute tout lien entre ceux-ci et les accidents. Il est également accusé aux États-Unis d’être responsable d’accidents mortels…
À lire : Sophie Rollet, «Que quelqu’un m’entende», 216 pages, 19 € (Fayard)
Cet article est paru dans le Télépro du 13/7/2023
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