Société : quand la colère gronde…

Les violences lors des récentes tensions en France, et leurs lots d’images de blessés tant dans les rangs des manifestants que des forces de l’ordre, inquiètent dans l’Hexagone et bien au-delà © Arte/Paul Moreira

Manifestations, mouvements sociaux : la France n’est pas la Belgique. Mais policiers et syndicats suivent attentivement les projets politiques en cours. Ce mardi à 20h55, Arte diffuse la série documentaire «Au nom du maintien de l’ordre».

Ce 23 octobre 2021, réunis sur la place Saint-Lambert à Liège, les militants FGTB venus soutenir leurs camarades accusent le coup. Dix-sept affiliés au syndicat socialiste comparaissent devant la Cour d’appel. Parmi eux, le président, Thierry Bodson. L’arrêt vient de tomber : peines de prison avec sursis, amendes… tous sont condamnés. Motif ? «Entrave méchante à la circulation». Le 19 octobre 2015, jour de grève nationale, ils bloquaient la circulation sur un pont d’autoroute à Cheratte. Le piquet de grève avait duré cinq heures et provoqué près de 400 km de bouchons et d’importants dégâts matériels. «Le droit de grève, bien que fondamental, n’est pas un droit absolu : il peut être soumis à des restrictions proportionnées», rappelle la Cour dans son arrêt. «Le droit de grève est-il en voie d’évaporation ?», s’interroge la presse. «Entrave à la liberté d’expression, à la liberté de manifester et d’exercer le droit de grève», s’insurgent ensemble les syndicats.

Violence en France

Le temps passe. Des images récentes et très violentes venues de France interpellent. La gestion de plus en plus musclée – d’aucuns disent même «guerrière» – des manifestations et autres mouvements sociaux inquiète dans l’Hexagone et au-delà. Comment en est-on arrivé là ? Le documentaire «Au nom du maintien de l’ordre» (Arte, mardi) tente de répondre à la question. Et en Belgique ? C’est la question que nous avons posée à une syndicaliste et à un policier.

La manifestation «0»

À partir de quand la police a-t-elle employé les grands moyens face aux manifestants ? Cette «manifestation référence» se situerait à Seattle, aux États-Unis, le 29 novembre 1999. Ce jour-là, pour la première fois, la police utilise des tanks, des gaz lacrymogènes et des armes non létales (des lanceurs de balles de défense – LBD) contre des jeunes Blancs venus manifestés contre une réunion de l’Organisation Mondiale du Commerce. Une vraie opération militaire. «J’ai vraiment dérapé», déclare aujourd’hui celui qui dirigeait la police ce jour-là. «Si on avait l’intention d’enflammer les passions et de provoquer des attaques contre les policiers et les magasins, on ne s’y serait pas pris autrement». À partir de ce moment, les codes changent. La société et les catégories qui manifestent aussi. Aujourd’hui, c’est une foule de colères solitaires qui s’exprime.

Pas en Belgique

«Le cadre légal de la gestion de l’espace public est très différent chez nous», commente d’emblée Vincent Gilles, le président du Syndicat libre de la fonction publique Police (SLFP). La philosophie belge repose sur une gestion partagée. Le sollicitant contacte l’autorité administrative (le bourgmestre) qui consulte différents services (voirie, pompiers, chantiers, police). La manifestation peut être interdite, tolérée ou soumise à des conditions strictes à respecter (ne pas s’arrêter à tel endroit, la mise en place d’un service d’ordre interne…). Et si un incident survient ? «La police doit adopter le principe de la désescalade», explique Vincent Gilles. En clair : «ne pas utiliser tout de suite les moyens spéciaux, si c’est possible. En 2020 par exemple, le bourgmestre d’Ixelles, Christos Doulkeridis, a tenté d’arrêter les casseurs en faisant obstacle de son corps. Vous ne verrez jamais cela en France.»

«L’arsenal est là»

«En Belgique, nous n’assistons pas à une militarisation de manière aussi évidentequ’en France», confirme Selena Carbonero Fernandez, Secrétaire fédérale de la FGTB. Elle constate aussi que l’utilisation des balles LBD est autorisée mais de manière beaucoup plus stricte. «Pour le moment», insiste-t-elle. «Car l’arsenal est là. Un changement politique est toujours possible et pourrait autoriser la police à y recourir. Restons vigilants.» Si Vincent Gilles (co-auteur du livre «Flic de merde», éd. Racine) met en avant les campagnes de violences dont sont victimes les policiers (8.000 procès-verbaux pour violences à l’égard de policiers enregistrées l’an dernier), Selena Carbonero Fernandez dénonce quant à elle le projet de loi sur l’interdiction de manifester du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (avec la possibilité pour les juges de prononcer des interdictions de participer à des rassemblements revendicatifs pour une période de 3 à 6 ans). «C’est tellement large et attentatoire au droit fondamental qu’est le droit de manifester que tant le Conseil supérieur de la Justice que l’Institut fédéral des droits humains ont remis des avis négatifs. Nous devons favoriser la démocratie en encourageant la contestation», poursuit-elle, avant de conclure : «On ne gouverne pas par la peur.»

Cet article est paru dans le Télépro du 25/5/2023

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