Sauvez Flipper

À cause du stress et de maladies de la peau dues au chlore, la vie des dauphins en captivité est réduite au moins de moitié © Getty Images

Confinés dans des delphinariums aux bassins exigus, les dauphins en captivité vivent un enfer.

La musique tonne, joyeuse, tournoyante comme une valse. Violons, cuivres et cymbales accompagnent gaiement des images bleutées tournées sous la mer. L’objectif semble guetter l’arrivée imminente d’un invité. Et soudain, il surgit : Flipper le dauphin, dans toute sa bonhomie. Le cétacé donne l’impression de jouer avec la caméra, de lui sourire. Jouette, il bondit hors des flots, éclabousse l’écran de sa bonne humeur apparente. «Crrr crrr crrr», il pousse de petits cris comme pour dire : «Regarde comme je m’amuse, comme j’ai envie de te faire rire.» Le générique d’un des feuilletons télévisés les plus populaires des années 1960 s’achève. Flipper dégouline de bonheur. La réalité est dramatiquement différente.

25 kg de poissons

La série culte débarque sur les écrans américains en septembre 1964. Elle met en scène le responsable d’un parc aquatique, ses deux jeunes fils et un grand dauphin attendrissant et surtout sauveteur de nageurs en danger. Un dauphin ? En réalité, cinq femelles se partagent le rôle. La raison est simple. Dans leur milieu naturel, ces dauphins à gros nez (les tursiops) peuvent avaler quotidiennement 25 kg de poisson. En captivité, les dresseurs ont compris que la nourriture était le meilleur moyen d’obtenir d’eux pirouettes et autres facéties. Pas de pitrerie, pas de récompense. Par contre, plus question de lui faire faire quoi que ce soit s’il a le ventre plein. Un autre cétacé entre alors en scène pour le remplacer et le tournage reprend.

Morte dans les bras

Ric O’Barry était l’un des dresseurs de ces dauphins vedettes au Miami Seaquarium de Floride. Il n’oubliera jamais le jour qui a changé sa vie. C’était en 1970. Cathy, l’un des cétacés, est venue mourir dans ses bras. Dans une interview accordée au blog «les-dauphins.com», il se souvient : «À la différence des humains, les dauphins ne respirent pas automatiquement. Chaque inspiration est pour eux un effort conscient. Cathy m’a regardé dans les yeux, a pris une respiration, l’a retenue et elle n’en a plus pris d’autre. Elle s’est laissée couler au fond de l’eau. Elle s’est suicidée.» Ric O’Barry est depuis un fervent défenseur des cétacés.

Contre nature

Dauphin emblématique, Flipper a aussi attiré les projecteurs sur le sort réservé à ses semblables. Le calvaire commence dès la capture. Le documentaire «The Cove» («La Baie de la honte») dénonce le massacre de milliers de dauphins à Taiji, au Japon. Chaque année, la chasse est ouverte. Les plus beaux spécimens capturés sont vendus à prix d’or (plus de 150.000 € par animal) à des delphinariums ou à des particuliers du monde entier. Les autres sont tués de manière particulièrement san glante et finissent leur vie sur les étals des marchés ou des poissonneries.

Chez nous aussi

Le sort de (au minimum) trois mille dauphins vivant en captivité est-il plus enviable ? L’animal habitué à parcourir une centaine de kilomètres par jour en liberté se retrouve subitement réduit en esclavage, séparé de son groupe, contraint de tourner en rond dans un bassin aux dimensions déri soires en compagnie d’autres dauphins dont il ne comprend pas le langage. L’association française «C’est assez» lutte contre l’exploitation des cétacés et des animaux marins libres ou captifs. Selon elle, «aucun bassin, aussi grand soit-il, ne pourra offrir des conditions de vie décentes aux dauphins». À cause notamment du stress et de maladies de la peau dues au chlore, leur durée de vie en cap tivité serait réduite au moins de moitié, passant d’une cinquan taine à une vingtaine d’années. En Belgique, seul le delphi narium de Bruges propose encore des spectacles de dau phins. À Bruxelles, par contre, ces spectacles sont interdits depuis deux ans. Comme dans au moins une vingtaine de pays qui ont décidé de sauver Flipper, Willy et leurs amis.

Cet article est paru dans le Télépro du 13/04/2023.

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