Rwanda, 1994 : le silence des mots
Des Rwandaises accusent des soldats français de les avoir violées dans des camps de réfugiés durant le génocide de 1994. Ce samedi à 18h35 sur Arte, un documentaire recueille leur parole pour la première fois. Glaçant.
Auteurs d’un documentaire bouleversant sur les viols répétés de Rwandaises dans les camps de réfugiés durant le génocide de 1994, Gaël Faye et Michael Sztanke reviennent sur les questionnements qui les ont animés.
Comment avez-vous abordé ce projet ?
Michael Sztanke : Nous voulions recueillir la parole brute de ces survivantes, pour qu’elles soient écoutées, entendues, et, ainsi, aller au-devant de la justice. Il ne s’agissait ni d’enquêter sur l’armée, ni de vérifier la véracité de leur récit qui, selon nous, ne fait aucun doute au regard des démarches judiciaires qu’elles ont entreprises.
Gaël Faye : Nous les avons aussi filmées dans leur cadre de vie, leur quotidien, avec leur famille, pour ne pas les enfermer dans un statut de victime d’une horreur absolue qui les aurait désincarnées. Pour mieux les écouter, il fallait restituer toute leur humanité.
Comment avez-vous recueilli leur parole ?
M. S. : Lorsqu’elles s’expriment, ces femmes puisent dans leur mémoire pour raconter ce qu’elles ont vécu, et on ne peut pas les interrompre. Marie-Jeanne, par exemple, à partir d’une seule question, a parlé pendant plus de trois heures, ne s’arrêtant que quand elle était submergée par l’émotion.
Les atrocités qu’elles décrivent sont difficiles à imaginer…
G. F. : Durant le génocide, la plupart ont été violées ou ont vu leur famille massacrée. Ayant survécu par miracle, elles se retrouvent dans des camps de réfugiés où des soldats français, en mission humanitaire sous mandat de l’ONU, les arrachent à leur tente comme des proies, les violent en réunion et prennent des photos, toutes les nuits : une armée étrangère, des Français, des Blancs… C’est ce qui explique en partie l’impunité. Pour ces femmes, témoigner revient à affronter l’incrédulité. Car, psychologiquement, c’est si vertigineux qu’on préfère douter de leur parole.
Dès le début du film, vous nous impliquez en tant que citoyens français, avec une citation de Boubacar Boris Diop…
G. F. : Souvent, à l’évocation d’un conflit lointain, on se dit que cette histoire n’est pas la nôtre, que nous n’avons pas la même humanité en partage, que cette barbarie n’a rien à voir avec nous. Cette citation vient rappeler que ces atrocités nous concernent en tant que Français.
M. S. : Il s’agit bel et bien de l’histoire de la France. Le rapport Duclert a soulevé la responsabilité accablante de l’État dans ce génocide, mais on n’y trouve pas le moindre mot sur les exactions de l’armée. Le film éclaire cet angle mort : le comportement de soldats français dans les camps de réfugiés.
Votre film a-t-il pour objectif de contribuer à mobiliser la justice pour ces femmes ?
M. S. : Leur avocate française a demandé un trombinoscope des soldats présents dans les camps et l’armée a assuré qu’il n’en existait pas. En réalité, rien n’empêche que justice leur soit rendue. Le génocide date de 1994, les victimes peuvent témoigner et leurs agresseurs présumés sont encore en vie.
G. F. : En tant qu’artiste, on porte une ambition, peut-être utopique. Suis-je en mesure de faire bouger les lignes et d’amener l’opinion à réagir ? En restant réaliste, j’aimerais que ce film incite la justice française à avancer.
Entretien : Raphaël BADACHE
Cet article est paru dans le Télépro du 21/4/2022
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