Plus de 95 % des secrétaires sont des femmes. L’histoire du métier en dit long sur la société… Elle est évoquée ce samedi à 20h35 sur La Trois dans «Et l’homme créa la secrétaire».
Avant d’écrire « La Belle au bois dormant », Charles Perrault fut un temps secrétaire de Colbert, ministre de Louis XIV. Avant de devenir ministre, Colbert fut lui-même secrétaire du roi. Tout comme Descartes fut secrétaire d’un prince, Voltaire d’un ambassadeur et Proust d’un comte. Des scribes de l’Antiquité aux hommes de confiance du XIXe, les secrétaires ont toujours été des hommes. Car le secrétaire était le dépositaire des secrets… De nos jours, pourtant, la profession est exercée à plus de 95 % par des femmes. Comment ce renversement s’est-il opéré ?
Les ronds-de-cuir
Le secrétaire moderne est né de la Révolution industrielle. Au XIXe siècle, avec l’apparition du train et des usines, puis des banques et des assurances…, le volume de paperasse augmente à toute vitesse. Il faut donc embaucher des commis aux écritures. Ça tombe bien : dans ces années-là, on assiste à une alphabétisation de masse. Avant même que l’école devienne obligatoire (en 1882 en France, 1914 en Belgique), les bonnes familles font instruire leurs enfants. Les garçons apprennent le latin, les sciences, les mathématiques ou le droit. Quant aux filles, une fois les bases posées, elles se consacrent à la broderie ou au piano pour devenir de parfaites épouses. Aucune femme ne songe à travailler à l’extérieur. Les premiers secrétaires modernes sont donc des hommes – Messieurs les ronds-de-cuir, comme les caricature Courteline.
Des doigts habiles
C’est une machine qui va tout changer : la machine à écrire, lancée en 1873 par Remington. Dans ce monde industriel axé sur la vitesse et la rentabilité, l’écriture manuscrite est rapidement remplacée par l’écriture typographique. Pour faire fonctionner la machine, il suffit de doigts habiles. Le fabricant suggère que cela ressemble fort au maniement d’un piano. Or seules les filles de bonne famille jouent du piano… Les femmes du peuple travaillent comme domestiques, au champ, à l’usine ou à la mine. Mais c’est la première fois qu’est évoquée l’idée que les jeunes filles de la petite ou moyenne bourgeoisie puissent travailler. C’est donc dans ces milieux que sont recrutées les premières secrétaires-dactylos. Uniquement des demoiselles, qui renoncent à leur emploi pour rentrer dans leur foyer dès qu’elles se marient.
Un ascenseur social
Au fil des années, le métier s’ouvre à d’autres profils. Il devient un ascenseur social pour les filles de paysans ou d’ouvriers. Comme le raconte « Populaire », le film où une intrépide demoiselle (Déborah François) fuit son village et le fils du garagiste auquel elle est promise pour devenir secrétaire. L’histoire se déroule en 1958. Dans les années triomphantes de l’après-guerre, le métier de secrétaire fait rêver. Tant les femmes qui y aspirent que les hommes qui les emploient : avoir sa secrétaire est un signe de réussite. Dans bon nombre de bureaux, les secrétaires sont alors les seules femmes. Ce qui génère une série de fantasmes, mais également des clichés en lien avec les tâches peu valorisantes qui leur sont souvent confiées…
Menacées par l’IA
Et aujourd’hui ? Selon une étude menée en 2024 par le cabinet McKinsey, le métier de secrétaire serait le premier impacté par l’IA. 18 % des postes actuels seraient menacés de disparition d’ici à 2030. Des prévisions aussi pessimistes avaient déjà été formulées au début de l’informatique… Depuis, la secrétaire d’antan est devenue manager assistant, mais elle semble toujours aussi indispensable. •
Cet article est paru dans le Télépro du 27/2/2025
