Paysans : nés pour nourrir les autres
C’est la mission des paysans depuis quinze siècles. Le documentaire en quatre volets «Le Temps des paysans» sur Arte retrace leur histoire mardi dès 20h55.
«De génération en génération, des femmes et des hommes proches de la terre en ont pris soin pour se nourrir et nourrir leurs semblables.» Ces quelques mots ouvrent chacun des quatre épisodes de la série documentaire «Le Temps des paysans», mardi sur Arte. Ils sèment les graines d’humanité que Stan Neumann va faire germer tout au long de son récit.
Trois ans de travail
«Que savons-nous de leurs joies, de leurs rêves, de leur solidarité et de leurs révoltes contre tous les dominants qui veulent s’emparer de leurs champs et de leur travail ?», s’interroge le réalisateur-documentaliste français. À la clé d’un travail de trois ans, la moisson est riche. Profondément investis dans leur identité de paysannes et de paysans, des femmes et des hommes témoignent. En Italie, France, Roumanie. Des historiens aussi, Jean-Pierre Devroey, notamment, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles. Ne vous attendez pas à une analyse économique ou technique sur l’agriculture. «Le Temps des paysans» est un film sur des gens, sur les communautés paysannes ; une fructueuse récolte humaniste.
Réduits au silence
Dans le cas de Stan Neumann, la découverte est totale. «Le monde paysan m’était complètement étranger. Plus urbain que moi, il n’y a pas» (Rires). Les histoires qu’il découvre le fascinent. Ce qu’il découvre ? Entre autre, que les paysans du Haut Moyen Âge (entre 460 et 1000 ap. J.-C.) n’ont pas toujours été des victimes, comme on a tendance à le croire. Ils ont aussi été les acteurs de leur propre histoire. Surtout, lorsqu’on les laisse libres. Ils ont ainsi été capables de nous laisser des leçons pour l’avenir. «Il existe des convergences entre cette époque et ce que nous vivons aujourd’hui, notamment au niveau de la gestion des ressources et de la diversification (des cultures).» Cette population ne laisse pratiquement pas de trace. Sans pouvoir, au plus bas de l’échelle sociale, elle est comme mise en cage par les seigneurs et l’Église. «À part quelques écrits et des dessins réalisés par les dominants (et donc fort connotés), le peuple paysan est privé de récit, il vit dans l’obscurité et le silence.» Cela tombe bien : ce travail de fourmi où il faut éclairer l’obscurité et séparer le bon grain de l’ivraie passionne Stan Neumann.
Honte et humiliation
Pas à pas, le réalisateur-documentaliste emmène le téléspectateur sur les sentiers de cette paysannerie. De «l’âge d’or», à la chute de l’empire romain (où la majorité de la population, privée de grandes villes se retrouve paysanne) à nos jours, en passant par les révoltes (les jacqueries), les désastres (les famines) et l’émancipation. Malgré les différences d’époques, de régions, de cultures, de climats, des fils semblent relier celles et ceux qui forment ensemble ce que Stan Neumann appelle «le peuple des paysans». La manière dont ils ont été considérés ou dont ils se sentent perçus. Pas tout à fait des êtres humains pour les dominants, il y a quinze siècle, parfois profondément blessés par le regard des autres de nos jours encore. «Mon enfance, c’est l’histoire d’une humiliation parce que j’étais fille de paysan», confie Morgan Ody, paysanne et coordinatrice générale de La Via Campesina, principal mouvement paysan international. «C’était le dernier des métiers, la honte.»
Fiers et autonomes
À l’opposé, le récit met aussi en lumière un sentiment aussi brillant que le soleil d’été sur les champs. «Ils sont tous obsédés par cette notion d’autonomie. C’est ça qui les réhabilite par rapport à l’image du paysan victime, souffrant», explique Stan Neumann. Un sillon qui se confond avec celui de la fierté, creusé au plus profond des paysans. «Nous avons une liberté incroyable par rapport à la majorité des gens que nous voyons», conclut Morgan Ody. «Notre petit bout de terrain, notre petit bout d’autonomie, notre petit bout de liberté, on ne va pas le lâcher.»
Cet article est paru dans le Télépro du 18/4/2024
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