Ouste, patron ! Du balai !

Des conditions de travail difficiles © CVB/ARTE

Dans les années 1970, les femmes de ménage de l’université catholique de Louvain-la-Neuve mettent leur patron à la porte et créent leur coopérative de nettoyage, Le Balai libéré. La réalisatrice Coline Grando raconte leur histoire…

1975. Les ouvrières de l’entreprise Anic (qui gère le nettoyage des bâtiments de l’université de Louvain-la-Neuve), excédées par leurs conditions de travail déplorables, se mettent en grève pour trois semaines. Au bout de l’arrêt de travail, elles «virent» leur patron et décident de s’autogérer. Pendant quatorze ans. La réalisatrice Coline Grando est allée à la rencontre du personnel de nettoyage actuel de l’UCLouvain et des travailleuses d’hier : quarante-cinq ans plus tard, est-il encore possible de travailler sans patron ?

Nivellement par le bas…

«J’ai découvert le récit d’une lutte réussie qui s’inscrit dans l’histoire de la Belgique des années 1970, mais aussi dans l’histoire d’une ville nouvelle, celle de Louvain-la-Neuve», raconte la réalisatrice Coline Grando. «À cette époque, il y avait un esprit pionnier, une envie de faire les choses autrement. Les revendications des travailleuses de l’époque ont convergé vers les aspirations politiques des militants de la CSC et des habitants. Trois semaines après le déclenchement de la grève, la direction de l’UCLouvain accepte de soutenir le projet de coopérative en signant un contrat, d’abord de trois mois, qu’elle renouvellera pendant quatorze ans. Je me suis alors demandé qui nettoie l’université aujourd’hui et dans quelles conditions. J’ai rencontré l’équipe de nettoyage, employée par une société privée. J’ai découvert la réalité de la sous-traitance et ses conséquences sur les conditions de travail. Le système des appels d’offre de marché public entraîne un nivellement des prix par le bas, ce qui a pour conséquence la réduction des effectifs, la solitude et l’accélération du rythme de travail.»

Le personnel vire le patron

Chantal Meert, de Mont- Saint-Guibert, a 73 ans et faisait partie du Balai libéré. «Avant de créer notre collectif, nous étions tout le temps surveillées par un représentant du patron qui prenait un malin plaisir à créer la zizanie et qui licenciait les travailleuses pour un rien. Nous n’avions aucune protection sociale et pas de syndicat. Quand il a fallu répondre à un nouvel appel d’offres de l’UCLouvain, l’entreprise devait s’engager à envoyer une partie du personnel travailler à Recogne, ce qui n’arrangeait aucune travailleuse car nous habitions toutes près de Louvain-la-Neuve. Nous avons fait grève. La CSC nous a épaulées. Nous avons créé notre propre entreprise, en continuant à travailler comme avant mais sans patron, si ce n’est la CSC et l’UCLouvain. Les représentantes qui constituaient le comité de gestion étaient désignées chaque année par vote. Nous connaissions les bénéfices que se faisait notre ancien patron et donc ce que nous pouvions nous permettre. Nous avons augmenté nos salaires de 5 euros de l’heure, acheté une camionnette et du matériel plus adéquat pour nous soulager.»

Et aujourd’hui ?

Chantal Meert a quitté Le Balai libéré en 1985. Quel regard porte-t-elle sur le personnel qui nettoie aujourd’hui l’UCLouvain ? «Ils ont beaucoup plus d’avantages que nous et ne réalisent que la moitié du travail que nous devions effectuer. L’UCLouvain est devenue moins exigeante, les locaux ne sont plus nettoyés à fond aussi régulièrement qu’avant. Et puis le travail s’est en partie mécanisé, il demande donc moins de personnel. Les travailleurs sont plus choyés. À mon époque, pas question de tomber malade, on ne pouvait pas s’arrêter !»

Cet article est paru dans le Télépro du 17/08/2023.

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