«Ouistreham» : enquête sociétale cherche journaliste masqué

Juliette Binoche dans "Ouistreham" © FTV
Alice Kriescher Journaliste

À voir ce mardi à 21h10 sur France 2, «Ouistreham» conte l’histoire de Marianne Winckler (Juliette Binoche), écrivaine reconnue qui intègre incognito une équipe de femmes de ménage.

En 2009, Florence Aubenas, journaliste française au Nouvel Observateur, prend un congé sans solde et s’inscrit à Pôle Emploi, équivalent français d’Actiris et du Forem. Elle enchaîne les petits boulots avant d’être engagée comme femme de ménage sur les ferries du quai de Ouistreham (Normandie) durant quelques mois, sans jamais mentionner sa profession initiale. Elle livrera le récit de cette expérience dans l’ouvrage «Le Quai de Ouistreham» dont est adapté le long métrage diffusé mardi sur France 2. Focus sur cette technique de journalisme immersif.

En mode gonzo

Plonger en immersion dans l’univers de son sujet d’étude, le journaliste Hunter S. Thompson connaît. En 1965, l’hebdomadaire The Nation commande au reporter américain un article sur les Hell’s Angels, ce gang de motards de légende qui pratique, entre autres, trafic d’armes et de stupéfiants. Thompson s’exécute si bien que son article parvient à faire de l’œil à des éditeurs qui lui proposent d’approfondir son enquête, afin de récolter suffisamment de matière pour un livre. Qu’à cela ne tienne, Hunter s’infiltre dans le groupe des féroces bikers pendant un an. L’homme est en total immersion, jusqu’aux limites les plus extrêmes : il se drogue et participe aux virées criminelles des Hell’s. «À sa sortie en 1966, le livre connaît un immense succès», indique le magazine Numéro. «C’est un pavé dans la mare qui renverse totalement les codes du journalisme en vigueur jusque-là.» Hunter S. Thompson devient le plus flamboyant représentant de ce que l’on appelle le «gonzo journalisme», terme inventé par Bill Cardoso, rédacteur en chef du Sunday Globe, pour qualifier ce nouveau mode journalistique en immersion et subjectif.

Enquête dans un nid de coucou

Bien avant Hunter S. Thompson, Elizabeth Jane Cochran, née en 1864 en Pennsylvanie, pratique, dès l’âge de 16 ans, le journalisme immersif dans les pages du Pittsburgh Dispatch, avec pour nom de plume, Nellie Bly. Après avoir intégré différentes usines, elle révèle les conditions exécrables de travail qui y règnent. Mécontents, les industriels mis en cause décident d’exercer des pressions sur le Dispatch et la signature de Nellie Bly se retrouve cantonnée aux rubriques culturelles. Lassée par cette censure, elle prend la direction de New York où un certain Joseph Pulitzer, directeur du New York World, lui promet un job si elle parvient à s’infiltrer dans l’asile de fous pour femmes, le Blackwell’s Island Hospital. L’article se transforme en livre, «10 jours dans un asile». «Le récit qu’elle en tire est édifiant», indique Les Inrockuptibles, «il alertera autant l’opinion publique que le gouvernement, qui prendra des mesures pour améliorer les conditions d’internement des malades mentaux».

La France d’en bas

En digne héritière de Nelly Bly, Florence Aubenas s’est donc prêtée à l’exercice immersif dans «Le Quai de Ouistreham» pour relater la vie de la France «d’en bas». Grand succès en librairie, l’enquête tend à démontrer non seulement les difficultés rencontrées quand on est à la recherche d’un emploi stable, mais aussi les souffrances psychologiques et physiques qu’engendrent les métiers peu valorisants. Mais lorsqu’un tel livre paraît, comment les protagonistes, qui ignoraient l’identité de leur «collègue-journaliste», réagissent-ils ? Dans le cas de Ouistreham : «Ils ont très bien pris la démarche de Florence Aubenas», relate Radio France. «Elle les a touchés même, parce que, exactement comme eux, elle a vécu et nettoyé, même si c’est sur un laps de temps limité, elle a fait son boulot comme les autres.»

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