Moi, Micheline B., 76 ans, inondée, sinistrée, désespérée

Un an après les inondations, les défis à relever restent énormes © RTBF

Vrai faux journal intime d’une victime des inondations du mois de juillet dernier. Ce mercredi à 20h40, La Une diffuse le documentaire «Inondations, un an après. La tête hors de l’eau».

Du 13 au 16 juillet 2021, des pluies diluviennes s’abattent sur la Belgique et provoquent des inondations catastrophiques. Trente-neuf personnes perdent la vie, des dizaines de milliers d’autres se retrouvent sans électricité, sans gaz, sans eau potable, leurs maisons sont dévastées. Pour échapper à la mort, certains doivent trouver refuge sur les toits de leur habitation.

Les dégâts sont énormes : entre 45.000 et 55.000 bâtiments sont touchés ou détruits, au moins 10.000 véhicules sont bons pour la casse, les dégâts sont estimés à 2,57 milliards d’euros par Assuralia.

La région liégeoise est particulièrement touchée. Un an plus tard, la situation est loin d’être revenue à la normale dans les zones sinistrées. De nombreux habitants sont toujours confrontés à d’importants tracas administratifs, financiers, matériels.

Moins visibles et spectaculaires, les profonds dégâts psychologiques affectent bien des victimes. C’est le cas de cette septuagénaire. Nous l’appellerons Micheline B. Elle habite à Chênée, près de Liège, le long de la Vesdre. Elle n’a pas écrit noir sur blanc le récit de ce qu’elle a vécu (et continue à vivre). Fidèle à sa réalité, voici ce que son carnet intime aurait pu retracer.

Jeudi 15 juillet, début d’après-midi

Il pleut depuis deux jours. Très fort. Sans arrêt. À la télévision, j’ai vu des images tournées à Spa et à Theux. C’est incroyable : les rues sont inondées, on n’a jamais vu ça. Mon fils m’a appelée. Il m’a dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que ça allait s’arranger et qu’il partait quand même en vacances. Bon… Je commence à me tracasser pour mes trois chats qui refusent de sortir et pour le chien que je ne peux pas aller promener. Je ferai ça plus tard.

Jeudi 15 juillet, début de soirée

C’est terrible. La Vesdre est montée d’un coup. Pendant que j’étais au téléphone avec ma nièce Rilou, on a entendu deux gros «boum» : c’étaient les vitres des portes-fenêtres du rez-de-chaussée qui explosaient sous la pression de l’eau. Je la vois grimper marche par marche, elle sera bientôt au premier étage.

Rilou m’a dit qu’elle allait venir me chercher, mais je crois qu’elle ne se rend pas bien compte : la rue est complètement inondée, on est coupé du monde. J’ai mis un linge blanc à la fenêtre pour signaler à la police que j’étais bloquée ici, mais personne n’est encore venu. Le chien et les chats dorment tranquillement. Il n’y a plus d’électricité. J’ai peur.

Vendredi 16 juillet

Il ne pleut plus. L’eau a commencé à descendre et Rilou a réussi à arriver. Elle a apporté un petit butagaz pour cuisiner, de la nourriture et des batteries portatives pour mon GSM. Je crois qu’elle commence à réaliser : il y a de la boue partout, ma pièce du rez-de-chaussée est encore partiellement sous eau, la rivière a emporté plein de choses et on voit sur les murs jusqu’où elle est montée. Et puis, il y a cette odeur de pourriture et d’humidité…

Dans la rue, c’est inimaginable. La librairie d’à côté est complètement ravagée et le café du coin a disparu, arraché par la rivière. Il y a plein de monde qui racle, qui sort du mobilier démoli des maisons. Un camion de l’armée vient de passer, des personnes commencent à distribuer des gaufres et de l’eau, d’autres proposent leur aide. Au hall omnisport, on distribue des repas et des vêtements, des familles qui ont dû fuir leur maison y sont hébergées. Quelle affaire. En plus, voilà qu’un des chats s’est sauvé et je me retrouve à crier après lui parmi tous ces gens. Mon Dieu. Qu’est-ce qu’il m’arrive ?

Juin 2022

Demain, le contre-expert vient proposer un montant pour les dégâts. Il a fallu le temps. Et si ce n’était que ça. Entre le fournisseur de gaz qui réclame un paiement alors que le compteur est coupé, les travaux pour consolider la maison qui menaçait de s’effondrer, ceux sur la Vesdre pour consolider les berges, le mur tout fissuré qui prend l’humidité… Heureusement que Rilou jongle avec tout ça car je vois bien que moi, je perds les pédales.

Il y a tant de mails, de courriers, de paperasses à remplir : j’ai peur qu’on m’arnaque. Avec tout ça, je ne dors plus et puis, j’ai perdu mon chien et un chat… Alors j’ai des crises de panique et j’oublie tout, même mes rendez-vous chez le psychologue. Dommage, je crois que ça m’aiderait. Enfin, comme diraient les gens : «Il ne faut pas s’inquiéter, ça va s’arranger.» Demain, beaucoup partent en vacances.

Cet article est paru dans le Télépro du 7/7/2022

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