Maryse Choisy : la journaliste et les filles de joie
Pionnière du journalisme d’immersion dans les années 1920, Maryse Choisy a passé un mois dans une maison close.
Les femmes journalistes n’ont pas froid aux yeux. On songe à Élise Lucet, qui poursuit les puissants avec son micro. Ou à Florence Aubenas, qui fut otage en Irak. Avant elles, d’Anne Sinclair à Françoise Giroud, d’autres avaient déjà fait bouger les lignes. Mais connaissez-vous la pionnière ? Ce dimanche, France 5 lui consacre un docufiction : «Un mois chez les filles». En 1928, Maryse Choisy vécut un mois en immersion chez les filles de joie.
Un amour de maharadja
Née en 1903 de parents inconnus, Maryse Choisy est élevée par une comtesse qui dit être sa tante, mais est probablement sa mère. La comtesse fréquente Oscar Wilde, Caruso, Picabia, Guynemer… La petite Maryse croise tous ces grands hommes au salon. Elle est très éveillée. Passionnée de lecture, elle se lance très tôt dans l’écriture. Elle est aussi très fantasque. Ainsi, elle raconte être tombée amoureuse d’un richissime maharadja qui se serait tué en voiture peu avant de l’épouser. Fantasme ou réalité ? Nul ne le sait. Toujours est-il que Maryse termine un brillant cursus universitaire par une thèse sur la philosophie indienne. Elle a alors 24 ans, sa tante est décédée et il lui faut travailler. Elle se rêve écrivain, mais en attendant le succès, elle se lance dans le journalisme.
Reportage vécu
Pour s’imposer dans ce milieu masculin, Maryse Choisy propose une idée originale : se déguiser en paysanne pour aller faire les vendanges en Touraine. Ce «reportage vécu» est très apprécié. Dans la foulée, Maryse se met dans la peau d’une ouvrière d’usine, d’un mannequin ou d’une vendeuse. Un éditeur lui propose alors d’infiltrer le milieu de la prostitution. C’est ainsi que paraît «Un mois chez les filles» en 1928. La presse crie au scandale, mais le livre attire 450.000 lecteurs en quête d’histoires croustillantes. «Je voulais simplement montrer la prostitution de l’intérieur», expliquera Maryse Choisy. «Le reporter Albert Londres l’avait déjà fait du point de vue des maquereaux et des clients, moi je me proposais de le faire du point de vue des filles.»
La soubrette
Pour ce reportage, Maryse se fait engager comme soubrette dans une maison close. En robe noire et tablier blanc, elle est chargée d’ouvrir la porte aux clients, de monter le champagne en chambre, puis de faire le ménage. Cela lui permet de cerner quelque peu les visiteurs et de recueillir les confidences des filles. Le client ? «C’est un spécimen de Français moyen : il va à la messe tous les dimanches, au bordel une fois par semaine, et à confesse immédiatement après», écrit-elle. Mais ce sont les filles qui l’intéressent surtout. Leur parcours de vie, la solidarité qui les lie, les risques sanitaires qu’elles encourent… Elle conclut : «Il est inacceptable de transformer des femmes en machines à plaisir.»
Du diable à Dieu
L’année suivante, Maryse Choisy publie «Un mois chez les hommes». Elle s’est infiltrée dans un lieu strictement interdit aux femmes : chez les moines du mont Athos. Elle s’intéressera ensuite aux lesbiennes, à la sexualité en prison, à la franc-maçonnerie. Jusqu’en 1939, quand elle rencontre le père Teilhard de Chardin. La journaliste se convertit alors au catholicisme. Pour se défaire de sa réputation sulfureuse, elle demande qu’«Un mois chez les filles» soit retiré de la vente. À la fin de sa vie, quand elle publiera ses mémoires de jeunesse, Maryse les titrera : «Sur le chemin de Dieu, on rencontre d’abord le diable».
Cet article est paru dans le Télépro du 7/3/2024
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