Mafia : dans l’engrenage de la terreur
Face à la caméra de Mosco Levi Boucault («Corleone, le parrain des parrains»), trois «repentis» de Cosa Nostra retracent, à visage couvert, leur parcours au sein de la mafia sicilienne. Ce mercredi à 23h05, Arte diffuse «Mafioso, au cœur des ténèbres».
«Nous étions vraiment des bouchers. J’ai la chair de poule quand j’y repense», confesse un homme à contre-jour, le visage dissimulé pour protéger sa nouvelle identité. Comme Giovanni Brusca et Giuseppe Marchese, deux autres tueurs de Cosa Nostra, Paolo Francesco Anzelmo a trahi l’organisation : arrêté dans les années 1990, condamné à la perpétuité, il a choisi de collaborer avec la justice afin d’obtenir une réduction de peine. Tous trois ont été interviewés par le réalisateur Mosco Levi Boucault dans le documentaire «Mafioso, au cœur des ténèbres», mercredi sur Arte. Entretien.
Mosco Levi Boucault, qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer un film aux «repentis» que vous aviez interrogés pour «Corleone, le parrain des parrains» ?
Dans ce documentaire, je n’avais retenu des paroles des «repentis» que ce qui avait trait à leur chef sanguinaire, Totò Riina, dont ils étaient les tueurs. J’avais écarté une grande partie de ce qu’ils m’ont confié sur eux-mêmes. D’où l’idée de reprendre les entretiens qu’ils m’avaient accordés, de changer de perspective et de constituer une sorte de «pain perdu» qui évoquerait «l’être mafieux» : comment ils sont devenus et ont été des mafiosi, avec quel état d’esprit, par quelles actions, et comment ils ont décidé de trahir Cosa Nostra en devenant des collaborateurs de justice.
Pourquoi ont-ils accepté de s’exprimer, alors que certains d’entre eux vivent sous de fausses identités ?
Brusca avait besoin de parler, de s’expliquer, voire de se justifier. Chrétien animé par un désir de rédemption, Anzelmo voulait évoquer son passé pour mieux le renier. Pour Marchese, il s’agissait de briser sa solitude, car sa famille, sa propre mère, l’a rejeté. Je pense par ailleurs avoir bénéficié de mon statut d’étranger. Ce n’était pas le scoop que je cherchais, mais l’homme en chacun. J’étais moins susceptible de créer des polémiques, comme c’est souvent le cas en Italie quand un homme au passé sulfureux s’exprime publiquement.
À travers leurs parcours, que vouliez-vous révéler de la mafia ?
L’engrenage de la soumission, de la terreur. On intègre la mafia pour être quelqu’un, mais une fois qu’on y a pénétré, on rompt avec la communauté des hommes. On n’est plus qu’un rouage qui broie et vit dans la terreur d’être broyé à son tour. Entrer dans la mafia, c’est entrer dans une secte, ne plus avoir de choix, de libre arbitre, de conscience. Vous faites ce que font les autres, sinon vous êtes éliminé. Riina avait l’habitude d’inviter à ripailler les hommes dont il se méfiait. Il les faisait étrangler le ventre plein. Quand un mafioso recevait une invitation à déjeuner de sa part, il n’était pas assuré d’en revenir vivant. Mais s’il déclinait, il était certain de figurer sur la liste des hommes à abattre.
Les récits de leurs crimes glacent le sang. Pourquoi avez-vous choisi de montrer des photographies de cadavres ?
Pour signifier qu’il ne s’agit pas d’une fiction, mais de barbarie, de cruauté, de perversité. D’un fléau réel, crapuleux. Les mafiosi se donnent le titre d’«hommes d’honneur». Il est difficile de le croire quand on voit la photo d’un homme assassiné selon la technique du lacet étrangleur.
Vous dédiez votre documentaire aux «justes» qui se sont dressés contre Cosa Nostra au prix de leur vie…
Ces justes sont… mon repère. Comme les justes pendant la terreur nazie.
Entretien : Manon DAMPIERRE
Cet article est paru dans le Télépro du 14/7/2022
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