Libération, l’envers du décor
En 1944, alors qu’ils libèrent la France de l’envahisseur nazi, certains GI commettent des viols et des meurtres sur les populations civiles. Un sujet resté longtemps tabou.
En 1944, les GI sont accueillis en héros. Aujourd’hui, le vernis du soldat libérateur craque, dévoilant la face sombre de la Libération, où se mêlent sexe, violence, alcool et racisme. Longtemps passées sous silence, leurs exactions sont au centre du magazine «Retour aux sources», samedi à 20h30 sur La Trois.
Lors du Débarquement du 6 juin et des campagnes qui ont suivi, des milliers de soldats américains libèrent la France occupée. Si l’Histoire a retenu leur bravoure, des faits moins reluisants, dont des viols évalués à plusieurs milliers, leur sont aujourd’hui imputés.
«Ces libérateurs boivent trop, font trop de bruit, conduisent leurs jeeps à toute allure, se bagarrent dans les rues et commettent des vols», écrit l’historienne américaine Mary Louise Roberts dans «Des GI et des femmes» (Seuil). «Les accidents de jeep sont fréquents et causent la mort de centaines de civils, y compris de jeunes enfants. Enfin, et surtout, les soldats poursuivent les femmes de leurs assiduités, comme en témoigne cette plaisanterie normande qui circule à l’époque : “Avec les Allemands, les hommes devaient se camoufler. Quand les Américains sont arrivés, il a fallu cacher les femmes”.»
Procès et pendaisons
Le premier à avoir révélé ces faits est l’écrivain français Louis Guilloux. En 1944, cet auteur reconnu («Le Sang noir»), parfait bilingue, est recruté comme interprète par l’armée américaine. S’il assiste à l’entrée des libérateurs dans les villages français, il est également le témoin privilégié de terribles drames, dont les scénarios se ressemblent souvent : des soldats ivres violent ou tentent de violer de jeunes Françaises. Parfois un proche s’interpose et se fait tuer.
Les premières semaines, l’Armée américaine laisse faire. Mais devant les plaintes des autorités françaises, elle se décide à intervenir. Dès octobre 1944, des procès sont organisés dans des écoles transformées en cour martiale par l’état major américain, et des pendaisons publiques s’ensuivent, grâce à la potence mobile qui se déplace de village en village. Au pays de la guillotine, l’US Army fait même venir un bourreau depuis le Texas !
Lors de ces procédures hâtives auxquelles il assiste, Louis Guilloux fait un étonnant constat : la plupart des accusés sont noirs, alors que ceux-ci ne représentent que 10 % des effectifs des GI. Pour Mary Louise Roberts, le commandement militaire «choisit de faire des soldats noirs les boucs émissaires afin de transformer le viol en “crime noir” pour maintenir la réputation des Américains blancs».
Le sexe comme motivation
Ce n’est qu’en 1976 que Louis Guilloux évoque la face cachée des GI dans son ouvrage «O.K., Joe !». À l’époque, le livre passe inaperçu, la France n’étant sans doute pas prête à égratigner le mythe du héros libérateur. Mais, aujourd’hui, des descendants de victimes prennent la parole, après des années de refoulement et de silence. Et depuis une vingtaine d’années seulement, des historiens se penchent sur le sujet. Pour motiver les GI à combattre en France, «l’armée leur a promis une France peuplée de femmes faciles», analyse la spécialiste américaine.
D’ailleurs, le journal Stars and Stripes, publié par les forces américaines, regorge de photos de Françaises embrassant les libérateurs. «Les Françaises sont folles des Yankees, voilà ce pour quoi nous nous battons», titre même le quotidien en 1944.
Quatre-vingts ans plus tard, le sujet reste tabou et le mythe du GI perdure. Selon l’historienne, «la Seconde Guerre mondiale, c’est LA bonne guerre», contrairement à celles menées au Vietnam, en Irak ou en Afghanistan. «Personne ne veut perdre ce héros américain qui nous rend fiers : le brave et intègre GI américain, protecteur des femmes. Quitte à perpétuer le mensonge.»
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