L’homme qui fait parler les morts
Le Dr Philippe Boxho est médecin légiste. Il dénonce le manque de moyens attribués à la justice : «On passe à côté de meurtres !».
Le détective entre dans la salle d’autopsie. Costume griffé d’un grand couturier, lunettes solaires de marque, il se plante, visage de marbre, face au médecin légiste. Entre eux, le corps de la victime arrivé quelques minutes plus tôt. Les premiers examens ont déjà été effectués, le diagnostic peut tomber.
Par-dessus ses verres teintés, l’inspecteur lance sa réplique, une «punchline» dont il a le secret. La tête légèrement baissée, les yeux visible par-dessus les verres teintés, Horatio Caine dit : «La bombe sexuelle a explosé en plein vol !». Générique. L’enquête des «Experts» peut commencer…
À en croire la série, c’est ainsi que les choses se passent à Miami, Las Vegas, Los Angeles ou Manhattan. Du côté des «Experts Belgique», c’est nettement moins glamour…
«Sur le plan des moyens, nous sommes en pleine régression», déplore le professeur Philippe Boxho, directeur de l’institut médico-légal de l’ULiège. «La Justice n’a jamais été aussi peu financée. Nous étions 42 médecins légistes dans les années 2000, nous sommes encore une vingtaine !».
Entre les mailles du filet
Quand il s’oriente vers la médecine légale, il y a une trentaine d’années, deux choses guident le choix du Dr Boxho : la recherche de la vérité et l’idée de faire parler les morts. «Grâce à des techniques, aux progrès de la médecine, ils ont une dernière fois le moyen de s’exprimer pour déterminer la cause de leur décès. S’ils ont été assassinés, commence alors la recherche des coupables».
Police, justice et médecine collaborent dans ce monde singulier qu’il a vu évoluer au fil des années. Si les techniques ont relativement peu évolué (à l’exception notable des recherches ADN en criminalistique), les moyens ont quant à eux considérablement régressé. Avec des conséquences inimaginables sur le travail quotidien.
«Nous ne sommes plus envoyés que sur les cas jugés suspects par les policiers. En clair : avant nous voyions beaucoup de morts violentes (pendaisons, coups de feu dans le crâne…). Aujourd’hui, nous ne les voyons plus. Nous ne voyons que les morts pour lesquelles on n’a pas une cause évidente de décès. La dynamique est totalement inversée. Conséquence : on passe à côté de meurtres !».
Crimes parfaits
Combien passent-ils ainsi chaque année entre les mailles du filet ? Difficile à dire. Un chiffre circule toutefois de manière insistante. Selon Le Soir, faute de budget, la Belgique passe chaque année à côté de 75 «crimes parfaits». Philippe Boxho confirme la tendance : en matière d’autopsie, nous sommes à la traîne : 1 à 2 % alors que l’Europe préconise 10 %.
«Par contre, nous faisons beaucoup plus d’examens extérieurs. Financièrement, c’est assez différent : faire l’examen externe d’un corps, cela coûte 82,79 € . Pour une autopsie, c’est 1.012,9 €…».
En plus de trente années de médecine légale, le professeur a côtoyé bien des politiciens auxquels souvent il s’est plaint (il vient d’ailleurs d’intenter une action contre le ministère de la Justice pour récupérer 800.000 € que lui doit l’État), sans beaucoup de résultats. «Nous sommes négligés par le politique car le secteur n’est pas porteur», estime-t-il. Et l’avenir ne s’annonce pas plus rose. «Les jeunes peuvent être attirés par la médecine légale. Mais les gardes deviennent vite lourdes à supporter».
La situation le laisse-t-elle amer ou résigné ? «Pas du tout», répond-il illico. «C’est un métier passionnant. J’adore».
Cet article est paru dans le Télépro du 2/6/2022
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