L’histoire oubliée des femmes au foyer
Au travers de films familiaux et de journaux intimes, Michèle Dominici et son documentaire «L’Histoire oubliée des femmes oubliées» (diffusé ce mardi à 20h55 sur Arte) font entendre la voix de celles qui ont fait le choix, pendant les Trente Glorieuses, de se consacrer à leur famille. Un éclairage rare sur une thématique délaissée par les sciences sociales.
Se dédier aux tâches domestiques, veiller au bonheur des siens dans un chez-soi coquet… C’est au milieu du XIXe siècle qu’apparaissent en France les premières femmes au foyer. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dopé par le consumérisme des Trente Glorieuses, ce statut s’impose comme une promesse d’accomplissement personnel pour des générations de jeunes filles, convaincues de la noble mission de se dévouer à la famille. Mais sous le vernis de l’idéal valorisé par la pression sociale, l’ennui engendré par la routine, le sentiment de mal-être et parfois la dépression rongent en silence beaucoup d’entre elles.
Avec «L’Histoire oubliée des femmes au foyer», la réalisatrice Michèle Dominici explore l’histoire de millions de femmes longtemps réputées n’avoir rien à raconter.
Michèle Dominici, pourquoi vous êtes-vous intéressée à une histoire apparemment si banale ?
L’idée de ce film est née d’une phrase prononcée par ma mère. Elle a écrit ses mémoires, mais son récit prenait fin l’année de son mariage. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu : «Parce qu’après, ce n’est plus intéressant.» Diplômée de Sciences Po et licenciée en droit, elle a alors tout arrêté. Quelques années plus tard, en entamant des recherches pour ce film, j’ai découvert qu’il n’existait aucun véritable corpus sur ce sujet qui avait pourtant concerné des millions de femmes.
Comment avez-vous procédé pour leur donner une voix ?
Je me suis d’abord concentrée sur la période d’après-guerre, pendant laquelle les femmes au foyer sont à leur sommet. Or le peu de fois où elles apparaissent, dans les fictions, les reportages ou les publicités, on parle toujours à leur place, les représentant comme de ravissantes idiotes censées incarner le bonheur familial absolu. Nulle part, on n’entend ce qu’elles ont à dire. Grâce à l’Association de l’autobiographie, qui collecte des récits d’anonymes, j’ai trouvé une quinzaine de documents, dont des journaux intimes très riches, où ces femmes racontaient les mêmes désillusions, un sentiment de solitude, la déprime et l’absence de temps pour elles, loin de l’image véhiculée par le Salon des arts ménagers !
Pourquoi n’utilisez-vous pratiquement que des archives familiales ?
Pour leur rendre une vérité, il me fallait au préalable déconstruire les images existantes. Je voulais aussi prendre le contrepied des films d’histoire qui retracent de grands destins. La documentaliste a fait la tournée des cinémathèques régionales, à la recherche d’archives familiales qui offraient un autre point de vue.
La révolution féministe les remet en cause plus qu’elle ne les émancipe…
D’une part, les féministes se sont peu intéressées à elles car elles incarnaient de potentielles opposantes, le bord politique conservateur. D’autre part, les femmes au foyer ont elles-mêmes été ambivalentes. Car adhérer aux idées féministes signifiait renier cinquante ans de leur vie. Au moment même où elles devaient affronter le départ de leurs enfants, et souvent l’usure de leur couple, la société a fait volte-face pour leur dire : «Maintenant, vous êtes ringardes.» Difficile à vivre pour ces femmes auxquelles on avait vendu, pendant des années, leur statut comme le gage ultime d’une vie réussie.
Texte : Entretien : Laetitia MOLLER
Cet article est paru dans le Télépro du 12/5/2022
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