L’heure de vérité pour Erdogan

En vingt ans, celui que l’on voyait porteur de valeurs démocratiques et d’un islam modéré a montré un tout autre visage © Isopix

Le Président turc est candidat à un troisième mandat, mais sa réélection est incertaine.

Mais qui est donc Recep Tayyip Erdogan ? À quelques jours des élections présidentielles en Turquie, Arte consacre un reportage en deux épisodes à celui qui brigue un troisième mandat à la tête du pays. Aux yeux de nombreux pays occidentaux, l’homme fort d’Ankara est apparu d’abord comme un libéral porteur d’espoirs démocratiques puis comme un autocrate, implacable avec ses adversaires, prêt à tout pour rester le maître absolu, «un incroyable animal politique, impulsif, colérique, autoritaire, pragmatique», comme le décrit la journaliste grand reporter de Radio France, Claude Guibal.

Football et religion

Le quartier de Kasimapasa, dans la partie européenne d’Istanbul. L’endroit est à la fois historique et populaire dans les années 1950. À l’époque, les Stambouliotes considèrent les habitants de ce secteur comme «des gens pauvres et peu instruits», note un guide touristique turc. C’est dans cet environnement que naît le petit Recep (le nom du mois de sa naissance) Tayyip (prénom de son grand père) Erdogan le 26 février 1954. Ses parents sont originaires d’une ville de la Mer Noire, son père est capitaine de navire sur le Bosphore. La famille est pieuse, pas très aisée mais pas pauvre. Elle l’envoie à l’école dans un établissement qui forme des prédicateurs et des imams. Mais la vraie passion de l’enfant, c’est le football. Il rêve d’y percer. Pendant plusieurs années, il est même footballeur semi-professionnel. Puis il renonce. «À cause de son père», affirment certains, «la faute à la politique» prétendent d’autres. C’est en tout cas dans ce domaine qu’il va faire carrière. Et quelle carrière.

Case prison et présidence

Après des études et un diplôme universitaire de la faculté des sciences économiques et administratives de Marmara (contesté par certains de ses adversaires politiques), son parcours politique décolle. «Il s’engage très tôt dans une formation islamiste que dirige le grand leader de l’Islam politique turc de l’époque, Necmettin Erbakan, lui-même influencé par les Frères musulmans», note l’Institut Montaigne, le laboratoire d’idées français. La première étape significative le mène à la tête de la mairie d’Istanbul en 1994. Autre date importante : 1998. Alors que l’armée a chassé le premier ministre du pouvoir, Erdogan prononce un discours qui lui vaut un passage de plusieurs mois derrière les barreaux.

En 2001, il fonde (avec d’autres) l’AKP, le Parti de la justice et du développement. Au départ, celui-ci porte des valeurs démocratiques et un islam modéré, il lutte aussi contre la corruption. Erdogan devient Premier ministre le 14 mars 2003. Il le reste pendant onze ans, avant d’être élu à la présidence en 2014 et réélu quatre ans plus tard. Cela fait donc vingt ans que l’homme est au pouvoir dans son pays. Il n’est pas prêt à céder sa place.

Controversé

En vingt ans, son discours a changé. Ses méthodes aussi. Le reportage d’Arte met en évidence «l’affaiblissement des institutions démocratiques face à la volonté de toute-puissance de l’homme.» «Une politique in fine fondée sur la violence, dont la question kurde constitue l’un des plus douloureux symboles.» L’un des faits marquants de son premier mandat reste l’arrestation de vingt mille opposants en 2016 après une tentative manquée de coup d’État. L’alliance avec un parti d’extrême droite ultranationaliste pour sa réélection en 2018, la restriction de la liberté de la presse, l’emprisonnement arbitraire d’opposants en sont d’autres.

Les élections présidentielles du 14 mai verront-elles Recep Tayyip Erdogan l’emporter face à des opposants unis, porteurs d’un espoir de plus de démocratie face au despotisme ? La gestion chaotique du séisme du mois de février et ses 50.000 morts font trembler celui que certains surnomment «le Poutine du Bosphore».

Cet article est paru dans le Télépro du 4/05/2023.

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