L’espionnage à la belge

Avec des sièges tels que celui de l’OTAN, les institutions européennes, le Shape à Mons... la Belgique est un vrai nid d’espions © Getty Images

De la Première Guerre mondiale à nos jours, espionnes et espions ne sont pas des légendes. Enquête chez nous, à l’occasion de la diffusion ce mardi à 21h10 sur France 2 du documentaire «DGSE : la fabrique des agents secrets».

Lambrecht. Dieudonné Lambrecht. Peut-être ce nom ne sonne-t-il pas comme Bond, James Bond. Et pourtant. Sur la photo sépia, il a du style le jeune industriel liégeois. Coupe en brosse, front altier, moustache fournie bien taillée : il a 32 ans quand la Grande Guerre éclate. Dans son regard franc, un peu tombant, un peu triste, il y a aussi de la détermination. Et Dieu sait s’il va en faire preuve.

Le précurseur

Dès le début du conflit, il entre en contact avec un représentant du Quartier général anglais. Celui-ci lui propose de créer un réseau de renseignements en Belgique. Dieudonné Lambrecht se lance dans l’aventure. Avec des observateurs, il consigne tous les mouvements de trains allemands transitant par Liège, Namur et Jemelle. Il transmet ensuite aux Pays-Bas les messages écrits à l’encre invisible sur papier de soie et dissimulés dans les boutons de ses vestes. Vendu à l’ennemi par un traître, il est arrêté et emprisonné. Le 18 avril 1916, celui qui est considéré comme l’un des précurseurs des services de renseignements belge est fusillé sur le site du fort de La Chartreuse, à Liège. «Celui-là n’a jamais parlé», confiera le prêtre allemand qui a recueilli les dernières confidences de Dieudonné Lambrecht. «On n’est pas parvenu (…) à lui arracher un seul secret. Ah ! ces Belges, ils savent mourir !»

Les héritiers

Louise Derache, Gabrielle Petit, Franz Merjay…  : d’autres de nos compatriotes s’illustrent dans le renseignement durant la guerre 14-18. Le réseau «La dame blanche» est créé durant cette période. À sa tête, Walthère Dewé, le cousin de Dieudonné Lambrecht. Lors du second conflit mondial, l’ingénieur liégeois reprend du service, il dirige le réseau Clarence. En janvier 1944, il est abattu à Ixelles. Le réseau Clarence est loin d’être le seul actif dans le renseignement en Belgique. Dans son livre «La Guerre secrètes des espions belges», Emmanuel Debruyne dénombre «40 réseaux de renseignement belges créés entre 1940 et 1944, impliquant 2.1000 personnes».

Bruxelles, nid d’espions

Qualité et quantité des documents transmis, fiabilité des agents : les compliments des Alliés ne manquent pas lorsqu’ils évoquent les espions belges. La guerre froide rebat les cartes. Ce ne sont plus les Belges qui espionnent mais notre pays qui est espionné. «Lorsque le siège de l’OTAN a été transféré de Paris à Bruxelles en 1967, les militaires et les diplomates n’ont pas été les seuls à faire le déplacement», lit-on dans les colonnes de l’hebdomadaire bruxellois BRUZZ en novembre dernier. «Les espions ont également trouvé le chemin de notre capitale.» À l’époque, on compte 134 espions de la Stasi (le service de renseignement de l’Allemagne de l’Est) en poste à Bruxelles et 45 du KGB soviétique.

Et aujourd’hui ?

Combien sont-ils aujourd’hui à observer ce qui se passe à l’OTAN, au Shape, à la Commission européenne, dans les grandes entreprises internationales ? «200 Russes et 240 Chinois», estimait le service de sécurité interne au Service européen pour l’action extérieure (service diplomatique de l’Union Européenne) en 2019. Et les Américains, les Anglais, les Indiens ? «Nous faisons le constat que les activités d’espionnage et d’ingérence étrangère ont atteint des niveaux qui n’avaient plus été atteints depuis la guerre froide», écrivait l’année dernière Wim Robberecht, le patron des Services de renseignements militaires belges (SGRS).

Contre-espionnage

Aujourd’hui, la Belgique mise donc sur le contre-espionnage pour rechercher, identifier et contrecarrer tout ce beau monde. Aux commandes à côté du SGRS, la Sureté de l’État (VSSE), le service de renseignement civil. En 2021, elle lançait la plus grande campagne de recrutement de son histoire en vue de constituer une réserve de 1.500 candidats inspecteurs. De 583 à l’époque, l’effectif doit passer à 1.000 cette année. Via le bureau de recrutement de l’administration fédérale Travaillerpour.be, la VSSE continue à publier régulièrement des offres d’emploi.

Un peu de tout

Mi-mars, c’est un(e) cryptographe (codage et décodage de messages sensibles) qui était dans son collimateur. Mais, comme le fromage belge, la Sûreté peut recruter «un peu de tout» : politologues, criminologues, historiens, mais aussi professeurs de sport, infirmiers, ingénieurs ou informaticiens. Maîtres mots : intégrité, loyauté, fiabilité et discrétion. Si vous êtes belge, que vous jouissez de vos droits civils et politiques, répondez aux exigences médicales et à quelques autres conditions que vous trouverez sur le sitewww.vsse.be/fr/jobs, rien ne vous empêche de tenter votre chance pour devenir espion. Mais chut ! C’est top secret.

Cet article est paru dans le Télépro du 4/4/2024

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici