L’Escaut en eaux troubles

L’équivalent de quarante piscines olympiques d’un liquide noirâtre s’est déversé dans le fleuve tuant entre 50 et 100 tonnes de poissons © RTBF

Il y a trois ans, une importante pollution frappait le fleuve dans sa partie wallonne. Une vraie catastrophe écologique ! Peut-on aujourd’hui parler de renaissance ? Ce jeudi à 22h45 sur La Une, «Doc Shot» mène l’enquête.

Le spectacle est consternant. D’abord, on dirait de petits papiers blancs flottant sur les eaux de l’Escaut à la frontière franco-belge. Des centaines, des milliers de papiers blancs. En y regardant de plus près, on découvre l’effarante réalité : ventre en l’air, ce sont des poissons morts qui ballottent à la surface du fleuve. Il y en a des tonnes.

«L’anguille est un poisson très résistant à la base», explique un pêcheur interviewé dans le JT de France 3. «Or on en compte des dizaines de cadavres sur les berges de l’Escaut. Cela donne une idée de l’ampleur de la pollution.»

Car c’est bien d’une pollution qu’il s’agit : «le plus gros incident écologique depuis vingt ans», estiment les associations écologiques.

Alerte

Pour comprendre ce qui s’est passé, direction Escaudoeuvres, près de Cambrai, dans le nord de la France. La nuit du 9 au 10 avril 2020, un incident se produit à la sucrerie Tereos. La digue d’un bassin de décantation dans lequel les betteraves sont lavées se rompt. 100.000 m³ (l’équivalent de quarante piscines olympiques) d’un liquide noirâtre se déversent dans la nature, notamment dans l’Escaut.

Bléharies, le premier village belge riverain du fleuve, ne se trouve qu’à 40 km de là. Pourtant, les autorités wallonnes affirment n’être prévenues des événements que plusieurs jours après, grâce au témoignage visuel d’un habitant.

Catastrophe

À l’époque, l’affaire fait peu de bruit. La pandémie de Coronavirus occupe toute l’actualité. La Belgique entre en confinement, les regards sont braqués sur la situation sanitaire. En d’autres circonstances, les événements qui se déroulent alors sur l’Escaut aurait fait la une des médias. Les dégâts écologiques de la pollution sont catastrophiques. Les matières organiques libérées dans les cours d’eaux voisins de l’usine et dans l’Escaut se sont dégradées. Elles ont consommé l’oxygène, asphyxié les organismes et produit «de l’ammoniac et des nitrites, très toxiques pour toute la faune aquatique», observe l’Office français de la biodiversité. Sur les 36 kilomètres de l’Escaut wallonne, la faune est presque totalement décimée. Entre 50 et 100 tonnes de poissons meurent.

Portés disparus

L’enquête, menée par le Parquet de Cambrai, conclut à la «diminution de 50 % du nombre d’espèces et 90 % des effectifs». La Région wallonne confirme l’ampleur des dommages : «Certaines espèces étaient en pleine période de reproduction et protégées – comme l’anguille européenne, la bouvière européenne, l’able de Heckel, l’ide mélanote, la loche d’étang, etc.», énumèrent les autorités. «Sans compter d’autres éléments de la faune aquatique, protégés ou non, comme certaines espèces d’invertébrés (libellules) et d’amphibiens (dont le stade larvaire est aquatique et à branchies).»

Comme d’autres associations et la Région wallonne, le parc naturel régional Scarpe-Escaut côté français et le parc naturel des plaines de l’Escaut belge annoncent qu’ils portent plainte. Ils estiment qu’au-delà d’un rempoissonnement, il faudra prendre en compte l’ensemble de l’écosystème, restaurer les berges, créer des zones de reproduction… et réparer le préjudice en adoptant le principe du «pollueur-payeur». Trois ans plus tard, la Justice tranche.

Jugement

Le 12 janvier dernier, le tribunal correctionnel de Lille reconnaît Tereos coupable entre autres de «négligence» dans l’entretien de ses installations. Le géant sucrier est condamné à payer une amende de 500.000 € et à indemniser toutes les parties civiles, dont la Région wallonne, à hauteur de 8,86 millions €. La ville d’Antoing devrait être dédommagée de plusieurs milliers d’euros au titre du préjudice moral et matériel.

Le groupe Tereos a interjeté appel. Le 8 mars dernier, la direction a aussi annoncé la fermeture de son site d’Escaudoeuvres et le licenciement de 123 salariés…

Cet article est paru dans le Télépro du 1/6/2023

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