Mercredi à 23h35 sur La Une, «Matière grise» met en garde : l’addiction peut prendre les manettes !
«Ça va péter !» : j’entends encore ce cri comme si c’était hier. Au début des années 2000, mon fils aîné est adolescent. Depuis sa naissance, il fait ses phases «à fond les ballons». À sa période aspirateur (il adorait l’engin et ne jouait qu’avec lui), a succédé sa période Zorro (avec cape, chapeau et masque noirs du matin au soir). Et là, il est dans sa période «Counter» comme il dit, un jeu de combat en réseau sur Internet.
Il est autorisé à y jouer pendant une heure. Un petit coup d’œil à ma montre me fait comprendre que le délai est largement dépassé, mais à l’étage, j’entends toujours crier «Ça va péter !». C’est ma première expérience d’un frémissement d’addiction aux jeux vidéo et, à l’époque, j’ai du mal à comprendre.
Personnellement, je me suis bien un peu frotté à la Nintendo en faisant bondir Super Mario (que j’accompagnais d’ailleurs du geste avec la manette), mais pas au point d’être accro comme je sens mon fils le devenir.
Hardcore gamers
Quelques chiffres pour situer l’ampleur du phénomène. Trente heures par semaine : selon Passeportsante.net, c’est le seuil à ne pas franchir. Au-delà, les spécialistes considéreraient l’activité comme une addiction. Dans le cas des gros joueurs, les «hardcore gamers», on parle de 18 à 20 heures par semaine : ils ont encore de la marge.
Les années passent, le phénomène augmente. Le 25 mai 2019, l’OMS décide d’ailleurs de classer la consommation excessive et incontrôlée de jeux vidéo comme une addiction, baptisée «trouble du jeu vidéo». Celui qui est le plus susceptible de développer ce trouble est un homme qui a entre 13 et 30 ans. Cela n’empêche pas des femmes et des personnes plus âgées d’être touchées.
Pour «Clinique psychologie Québec», cette addiction est souvent responsable de l’apparition de problèmes sociaux et psychologiques sévères. Le joueur callé devant son écran se coupe de ses relations existantes, ses résultats scolaires s’en ressentent. Il devient un candidat privilégié à une dépression contre laquelle les super pouvoirs du héros qu’il incarne dans le jeu n’y pourront rien. Au contraire. Car le super héros en question est peut-être programmé pour ne pas lui vouloir que du bien…
Fortnite
Aux yeux des psychiatres, les jeux en réseau sont les principaux responsables des véritables dépendances. C’est le cas de «Fortnite». Jeu de construction et de survie, ce véritable phénomène de société attire 40 millions de joueurs par mois. Pour capter toute l’attention des joueurs et les séduire dès les premiers instants, les producteurs n’ont pas lésiné sur les moyens.
«Matière grise» dévoile qu’ils ont fait appel à de véritables armées d’experts en neurosciences. «Spécialistes en psychologie comportementale, en interface humain-machine ou en réalité virtuelle, ils organisent des sessions live en laboratoire pour scruter des joueurs à la loupe. Dans un seul but : optimiser tous les paramètres pour maximiser les expériences de gaming… et, en passant, grignoter la plus grande part possible d’un gâteau financier du jeu vidéo estimé à plusieurs milliards d’euros.
En octobre 2019, un cabinet d’avocats québécois a introduit une demande d’action collective sous prétexte que «Fortnite» a été spécifiquement conçu pour provoquer l’addiction des joueurs. «Ils ont utilisé les mêmes tactiques que les créateurs de machines à sous, soit des programmes de récompenses variables, pour s’assurer de la dépendance de ses utilisateurs, le cerveau étant manipulé pour toujours désirer davantage», peut-on lire dans leur document.
L’une des spécialistes en psychologie qui a participé à la conception du jeu pendant plusieurs années réfute totalement l’intention de créer un produit addictif : «Nous voulions simplement faire un jeu amusant pour le plus de gens possibles», déclare Célia Hodent.
Comme une chaîne de télévision ou un écrivain tentent d’attirer un maximum de téléspectateurs ou de lecteurs. Addiction ou pas, ce qui est certain dans mon cas, c’est que ces jeux laissent dans la mémoire des traces indélébiles, même pour ceux qui n’y ont pas joué. Quelque part dans ma tête résonne encore «Ça va péter !».
Cet article est paru dans le Télépro du 2/9/2021