Les sœurs Nardal, mères cachées de la négritude
Figures de proue de l’éveil de la conscience noire, Paulette et Jane Nardal ont longtemps été occultées par l’Histoire. Ce dimanche à 22h55, France 5 diffuse le documentaire «Les Sœurs Nardal, les oubliées de la négritude».
«Les sœurs Nardal ont contribué à l’essor de la négritude, elles en sont sans doute les pionnières», affirme la chercheuse T. Denean Sharpley-Whiting, dans son étude «Negritude Women». «J’ai été frappée par leur importance, même si leurs contributions ont été marginalisées.» Et pour cause, ces Martiniquaises arrivées à Paris dans les années 1920 étaient des intellectuelles, qualité qui, à l’époque, étaient l’apanage des messieurs. Ce qui compliqua leur épanouissement.
Premières à la Sorbonne
Nées dans l’est de l’Île aux fleurs, les demoiselles Nardal – Paulette, Émilie, Alice, Jane, Lucy, Cécyl, Andrée – forment une sororité encadrée par leur mère Louise, institutrice, et leur père Paul, ingénieur, qui leur apportent le goût du savoir et de l’art. Paulette et Jane partent pour la France. L’aînée veut apprendre l’anglais, sa cadette, la littérature. Elles sont les deux premières étudiantes de couleur à la Sorbonne et découvrent, dans une capitale intéressée par d’autres cultures, un monde insoupçonné, auréolé du talent des negro spirituals, de la cantatrice Marian Anderson et de la mythique Joséphine Baker. Paulette dira au biographe Philippe Grollemund : «Je n’imaginais pas rencontrer chez les Noirs une telle richesse. Nous avons été élevées dans l’admiration des œuvres des Occidentaux. J’ai été fière de voir comment les Parisiens pouvaient vibrer devant les productions noires.»
Les hommes d’abord
Se rapprochant de l’intelligentsia black, les Nardal lancent en 1931 le mensuel La Revue du Monde Noir, qui paraîtra six mois, et organisent des réunions dans leur appartement de Clamart. «Car il n’y avait pas de reconnaissance d’une littérature ou d’une culture noire», souligne l’écrivaine Maryse Condé. Soutenant aussi le féminisme, attitude pour laquelle elles vont souvent être attaquées, les sœurs n’en acceptent pas moins des invités masculins, dont le politicien Félix Éboué, le romancier Claude McKay, le militant panafricaniste Marcus Garvey, ainsi que les écrivains et futurs politiques Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire. Elles ignorent alors que ces derniers, plus admirés que les dames, vont les éclipser…
Reparties aux Antilles en 1939, les sœurs tentent d’y transmettre leur savoir. En vain. Paulette embarque pour revoir Paris, mais son bateau est torpillé. Gravement blessée, la pionnière ne reverra pas la France. Un triste épilogue pour elle : «Césaire et Senghor ne se sont pas conduits vis-à-vis de moi d’une façon très correcte. (…) Il est peut-être bon, même si cette influence n’a pas été, à leur avis, décisive, de leur rappeler que ces idées ont eu des promotrices qui, malheureusement, étaient des femmes.»
Cet article est paru dans le Télépro du 9/3/2023
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