Les maisons de repos de la honte : home sweet home ?
Maltraitances, rationnements… : la vie en maison de repos entre quiétude et inquiétude. Ce mardi à 21h10 sur France 2, «Cash Investigation» diffuse un enquête ahurissante dans le secteur des établissements pour personnes âgées.
«Dès que l’ascenseur s’est ouvert, j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Déjà, il y avait cette odeur de pisse terrible, dès l’entrée. Et je savais que c’est parce que les résidents n’étaient pas changés assez régulièrement.»
Saïda Boulahyane est auxiliaire de vie. Elle raconte son arrivée dans le service d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) où elle s’apprête à accomplir sa première journée de travail. En une seule phrase, le lecteur imagine la scène et l’atmosphère qui règne dans la maison de repos.
«Les Fossoyeurs»
Saïda Boulahyane est l’un des témoins-chocs du livre «Les Fossoyeurs», publié chez Fayard. Le journaliste d’investigation Victor Castanet y dévoile le fonctionnement du groupe privé français Orpéa, leader mondial des Ehpad et des cliniques.
Il y dénonce les maltraitances dont sont victimes de nombreux résidents, les cadences infernales imposées au personnel, le rationnement des couches et des repas, sacrifiés sur l’autel des plantureux bénéfices à réaliser. Depuis sa sortie, en janvier dernier, le livre défraie la chronique. Le groupe est sommé de s’expliquer par les autorités et d’autres sociétés font l’objet de plusieurs plaintes. Le mal n’est pas typiquement français.
Chez nous aussi
«On a déjà utilisé des chaussettes pour laver les résidents !» Ce témoignage émane d’un membre du personnel d’une maison de repos Orpéa installée en Wallonie et est repris en Une des journaux du groupe Sudpresse, le mois dernier. Les révélations contenues dans «Les Fossoyeurs» n’ont pas laissé indifférentes les autorités belges, en particulier Christie Morreale, la ministre wallonne de la Santé.
Fin janvier, elle charge les inspecteurs de l’Aviq, l’Agence pour une vie de qualité, de visiter de manière inopinée douze des dix-huit maisons de repos gérées par la société en Wallonie. «Deux établissements ont obtenu un avis « mitigé » et devront faire l’objet d’éclaircissements. Un autre est qualifié de « très préoccupant » et va faire l’objet d’une enquête approfondie.»
Un secteur sous haute surveillance
Ces inspections n’ont toutefois rien d’exceptionnel. Pour augmenter le nombre de contrôles, les effectifs de l’Aviq sont passés de 53 agents en 2019 à 74 deux ans plus tard. 500 contrôles ont été menés en 2021. En octobre dernier, l’un d’eux aboutit à la fermeture d’une maison de repos à Tournai. Privations de nourriture, punitions, médicaments mal administrés… : le rapport de l’Aviq reprend une longue liste de manquements graves et multiples, certains déjà pointés du doigt dix ans plus tôt.
(In)quiétude ?
En 1998, l’Université de Liège mène déjà une étude dans septante établissements. Le thème : «Vieillir en maison de repos : quiétude ou inquiétude ?». D’après ses résultats, les résidents regrettent d’être infantilisés, la froideur du personnel, et même les agressions physiques.
Au moment de sa création, en 2009, Respect seniors, l’agence wallonne de lutte contre la maltraitance des aînés, se voit confier une série de missions. Numéro d’appel téléphonique gratuit, organisation d’actions d’information et de sensibilisation, de formations… ainsi que l’étude des formes de maltraitance et de leurs conditions d’apparition. Dans ce cadre, elle commande à l’Université de Liège une enquête sur le bien-être des plus de 70 ans.
Il en ressort que l’isolement et la maladie sont les deux facteurs de maltraitance principaux. Elle révèle aussi qu’un répondant sur six a déjà vécu une agression physique, sexuelle, financière, civique ou médicale. Aux conséquences parfois dramatiques : le taux de tentatives de suicide des personnes malmenées est jusqu’à sept fois supérieur à la moyenne. Contrairement à de nombreux autres pays, la Belgique ne s’est toujours pas dotée d’un plan national ou régional spécifique de lutte contre la maltraitance des personnes âgées.
Cet article est paru dans le Télépro du 24/2/2022
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