Les forçats du clic

Les «clickworkers» sont en majorité des femmes. Les principaux pays fournisseurs de main-d’œuvre seraient l'Inde, les Philippines, le Pakistan et le Bangladesh, suivis des États-Unis et de l'Europe de l'Est. (source : AFP) © Getty Images

Pour une bouchée de pain, ils œuvrent dans l’ombre au service des Gafams, ces géants du Net que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Ce lundi à 21h, France 5 évoque les «Invisibles – Les travailleurs du clic».

Vous ne les voyez pas, vous ne les entendez pas. Pourtant, ils sont là. Chez eux, les yeux rivés sur leur ordinateur ou leur smartphone, suspendus aux fils sans fin de la toile du Net. Dans ce monde du «tout virtuel», ces petites mains existent bel et bien. Elles portent même un nom : les «click workers» («travailleurs du clic»). Des petites mains souvent anonymes dont le travail très mal rémunéré consiste à nourrir sans relâche en infos les plus diverses un ogre à l’appétit insatiable : l’intelligence artificielle.

Micro-jobs

De quoi s’agit-il ? Coup d’œil sur un site Internet qui annonce «donner les meilleurs conseils pour gagner ou économiser de l’argent». Dans le cas du «travail du clic», la description de tâches et les profils recherchés sont plutôt larges. Il faut aimer surfer sur le Web et écrire, savoir prendre des photos – voire réaliser de courtes vidéos d’objets ou de situations du quotidien -, analyser des sentiments, catégoriser des produits, saisir des données, faire des recherches en ligne, reconnaître des images… Autant de missions qualifiées de «micro-tâches» ou «micro-jobs» : ce n’est pas chronophage, ça ne demande pas de qualifications particulières et c’est rémunéré.

Mini-salaires

Facile et rapide : oui… Mais ça ne rapporte pas gros ! Selon les sources, le montant des rémunérations varie. 25 € pour 8 heures de travail selon certains, 9 à 10 de l’heure en moyenne pour d’autres… Une étude française évoque «des disparités énormes» entre travailleurs, parlant de «moyenne des revenus mensuels assez faible : à peine 21 € par mois» !

La motivation des travailleurs du clic se résument souvent à quelques euros/dollars en plus. C’est toujours bon à prendre. Surtout selon l’endroit où on vit… .

Combien sont-ils ? Ici encore, les chiffres varient selon les sources. Il y a quelques années, on estimait qu’un demi-million de personnes travaillaient pour les Gafams. Plus récemment, une seule de ces plateformes affirmait compter plus de 2,2 millions de membres enregistrés…

Plutôt que «ils», faudrait-il écrire «elles» : les clickworkers sont en majorité des femmes ! Leur nationalité ? D’après une étude citée par l’Agence France Presse, les principaux pays fournisseurs de cette main-d’œuvre seraient l’Inde, les Philippines, le Pakistan et le Bangladesh, suivis des États-Unis et de l’Europe de l’Est.

Un ogre à nourrir

Si les géants du Web ont lancé ces plateformes de collectes d’infos, c’est pour mieux nourrir l’économie numérique et l’intelligence artificielle. Le mensuel économique français Capital cite l’exemple de Cortana, l’assistante personnelle virtuelle de Microsoft. Pour permettre à cette voix virtuelle de répondre aux questions qu’on lui pose dans de multiples langues, il faut des milliers de travailleurs du clic. Ce sont eux qui font ce que les intelligences artificielles ne sont pas encore capables de faire seules, par exemple reconnaître un objet ou un animal photographié sous un angle particulier.

«Pour bien fonctionner», analysait Audrey Defour dans le quotidien La Croix, «une intelligence artificielle de reconnaissance d’image, par exemple, a besoin d’exemples, d’énormément d’exemples – il faut qu’on lui dise «ça c’est un chien», «ça c’est une voiture».» La machine a donc encore besoin de l’homme pour s’améliorer et lui fournit du travail.

Le documentaire d’Henri Poulain, «Invisibles – Les travailleurs du clic», explore le quotidien de ces travailleurs précaires de l’économie numérique.

Cet article est paru dans le Télépro du 7/4/2022

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