Les crimes d’Auschwitz devant la justice

Il y a quatre-vingts ans, le camp d’Auschwitz était libéré. Vingt ans plus tard, une vingtaine de responsables répondent de crimes commis en Pologne devant la justice allemande. © Getty Images
Stéphanie Breuer Journaliste

En 1963, pour la première fois, la justice allemande juge elle-même des criminels nazis : d’anciens SS doivent répondre, à Francfort, de crimes commis à Auschwitz.

Il y a quatre-vingts ans, le camp d’Auschwitz, où plus d’un million de personnes ont perdu la vie, était libéré. C’était le 27 janvier 1945. Vingt ans plus tard, une poignée de responsables de ces crimes sont condamnés à l’issue du procès de Francfort. Et ce, grâce à la ténacité d’un homme : Fritz Bauer, un procureur juif allemand. Lundi à 22h20 sur Arte, le film « ​L’Instruction », un huis clos judiciaire long de quatre heures, retrace ces débats.

Après la défaite allemande de 1945, les dirigeants nazis ont été jugés par les Alliés au procès de Nuremberg. Pour la population allemande, le chapitre de la guerre est désormais clos. Tout comme pour le premier chancelier fédéral Konrad Adenau

r qui permet même à d’anciens nazis de réintégrer des postes dans la fonction publique.
Outre-Rhin, les regards sont ainsi résolument tournés vers l’avenir. D’autant que l’Allemagne de l’Ouest, en ruines en 1945, connaît un rapide et inespéré redressement économique. Grâce au généreux plan Marshall américain, à la réforme monétaire de 1948 et à l’économie sociale de marché mise en place, on parle même, dans les années 1950 et 1960, de « miracle économique » (« Wirtschaftswunder »).

Un procureur tenace

Pourtant, près de vingt ans après la fin du conflit, l’Allemagne va devoir se replonger dans l’horreur de la guerre. En effet, une minorité d’Allemands refuse de faire table rase du passé. Parmi eux, Fritz Bauer n’oublie pas les années noires au cours desquelles, en tant que social-démocrate de confession juive, il a été persécuté par les nazis et a dû s’exiler au Danemark. Il est convaincu que son pays doit se confronter à son passé pour que naisse une véritable démocratie. Nommé procureur général à Francfort en 1956, il se taille rapidement une réputation de chasseurs de nazis – c’est d’ailleurs lui qui prévient le Mossad de la présence d’Adolf Eichmann en Argentine.

En 1959, il met la main, grâce à un journaliste, sur des documents sauvés des flammes par un survivant du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz. Il y découvre des traces de meurtres ciblés commis dans le camp ! Avec l’aide de trois jeunes magistrats, il s’attèle à une immense tâche : identifier les anciens SS responsables et récolter des preuves pour les inculper.

Atrocités révélées

Ce travail de longue haleine débouche sur l’ouverture du procès de Francfort (aussi appelé « ​second procès d’Auschwitz ») en décembre 1963. Dix-huit ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, 22 soldats SS – la plupart des officiers du camp, dont Rudolf Höss, avaient été jugés en Pologne lors du procès d’Auschwitz – doivent répondre de leur implication dans le fonctionnement du camp aujourd’hui le plus célèbre.

Si de nombreux criminels de guerre ont déjà été condamnés à Nuremberg par les Alliés, c’est la première fois que la justice allemande se charge elle-même de juger ses criminels de guerre. Durant 180 jours, témoins et accusés défilent à la barre, les uns décrivant l’horreur vécue dans ce camp de la mort, les autres se réfugiant derrière les procédures et les ordres reçus. Via la presse internationale, l’opinion publique découvre les atrocités commises à Auschwitz, dont la véritable fonction est longtemps restée cachée en Allemagne.

En août 1965, à l’issue des débats, trois accusés sont acquittés et les autres sont condamnés à des peines de prison (à perpétuité pour six d’entre eux). Un verdict qui, en plus de révéler au monde la barbarie nazie, redore le blason de la justice allemande, même si le banc des accusés était bien loin de compter les plus de 6.000 personnes impliquées dans le fonctionnement du camp de la mort.

Cet article est paru dans le Télépro du 23/1/2025

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