«Le Village de Bamboula», le village de la honte
L’histoire aberrante et indécente de l’un des derniers «zoos humains» ! C’était en France, il n’y a pas si longtemps… Ce mardi à 23h55 sur France 2, le documentaire «Le Village de Bamboula» revient sur cette affaire.
Dans les années 1980, en France, «Bamboula» est le nom donné à un biscuit chocolaté. Forte de son succès, en 1994, la marque au nom politiquement incorrect devient le sponsor officiel de la nouvelle «attraction» qui vient d’être installée au cœur du parc zoologique de Port-Saint-Père, au sud de Nantes.
La nature du nouveau divertissement ? Un village ivoirien grandeur nature où des musiciens, des chanteurs, des artisans, mais aussi des enfants, venus de Côte d’Ivoire, doivent se donner en spectacle afin d’amuser les visiteurs.
Qui a eu cette idée folle ?
À l’origine, le mot «bamboula» est le nom d’un type précis de tambour. Par extension, «la bamboula» devient le terme pour désigner la danse que l’on effectue au son de ce tambour. Outre cette précision étymologique, que ce soit dans les années 1980, en 1994 ou aujourd’hui, personne n’est dupe. «Bamboula» est surtout une injure raciste, connotée négativement depuis toujours et utilisée par les colons.
Pourtant, cette réalité n’a pas empêché le marketing des biscuits cacaotés Bamboula d’utiliser comme mascotte un petit garçon Noir, vêtu d’une peau de bête et coiffé d’un béret basque au motif léopard.
En 1992, un projet d’envergure voit le jour dans la commune de Port-Saint-Père, en Loire-Atlantique : un immense zoo est installé pour permettre aux visiteurs de le parcourir en voiture, afin d’y admirer la faune sauvage à la manière d’un safari africain. Deux ans plus tard, des promoteurs ont l’idée d’associer le zoo à la marque à succès des sablés au chocolat en créant «Le Village de Bamboula».
«Dans l’esprit de ses promoteurs il s’agissait de développer le tourisme dans le Pays de Retz et de créer de l’emploi», relate le site de France 3. «Et de permettre à des sponsors d’associer leur marque à l’attraction et parmi eux, la biscuiterie Saint-Michel qui avait vu là un tremplin pour son produit phare de l’époque : le sablé chocolaté Bamboula.»
Tourisme abject
Alors que l’idée du «Village de Bamboula» est en gestation, Dany Laurent, le directeur du Safari Parc qui connaît bien la Côte d’Ivoire, se rend aux obsèques du Premier ministre ivoirien Félix Houphouët-Boigny, en 1993. Sur place, il explique son projet et ses contacts lui parlent d’une troupe, le Djolem, dont les musiciens et chanteurs seraient parfaits pour devenirs les «habitants» de ce village exotique.
En mars 1994, une vingtaine d’Ivoiriens arrivent à Port-Saint-Père. Parmi eux, des enfants qui voyagent sans leurs parents. Dès leur arrivée, différentes associations s’insurgent : ce n’est pas le droit français qui va s’appliquer aux travailleurs du village, mais le droit ivoirien. Résultat, les artistes sont payés aux trois quarts du smic (salaire minimum en France).
Les conditions de travail sont révoltantes. Hébergement rudimentaire, pas de visa de travail, les enfants n’ont pas l’occasion d’aller à l’école et, si la météo le permet, des danses seins nus doivent être effectuées, c’est dans le contrat…
«On était à la mi-mars, ils étaient dans un dénuement total», se souvient Eugénie Bamba, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme en Loire-Atlantique de 1993 à 1995. «Les femmes étaient en sandales, ils n’avaient pas d’affaires chaudes ni de chaussures. Ils m’ont dit n’avoir pas vu de médecins, et s’il y avait un souci, c’était les vétérinaires du Parc qui s’occupaient d’eux.»
Indécence éphémère
En septembre 1994, sept mois après son ouverture, le village de la honte ferme définitivement ses portes, grâce à la mobilisation du collectif «Non à la réserve humaine». La justice française mettra trois ans à condamner le safari-parc pour non-respect de la législation du travail.
Aujourd’hui, les cases du village sont toujours là, mais elles servent à l’exposition de reptiles et d’oiseaux.
Cet article est paru dans le Télépro du 13/1/2022
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