Le Printemps arabe a viré à l’hiver glacial…
Dix ans après l’échec de la révolte de la place Tahrir en Égypte et l’installation d’un régime neuf, le gouvernement al-Sissi pratique la disparition des opposants, la détention sans procès et la torture… Ce samedi à 23h15, le documentaire «Ethbet» fait le point.
La scène se passe en Égypte, début 2020, lors d’un minitrip au Caire. Sur le trajet entre le site des pyramides et le Musée égyptien, nous traversons une partie de la ville. Elle semble étrangement calme. La guide rassure : «Rien d’exceptionnel, c’est normal.» Ah bon… Ce n’est pas l’image d’artères trépidantes et bruyantes que l’on a de la capitale. Les barrages de polices que nous passons ? «Une petite manifestation doit avoir lieu. Rien de particulier…»
La camionnette stationne devant le musée, la guide nous pousse vers l’entrée. Comité d’accueil : des géants moustachus aux lunettes noires et aux vestons ballonnés à la ceinture. Les gardes armés en civil sont partout… Visite faite, en attendant le van pour le retour, regards vers la place toute proche. Son accès est interdit. «Je ne peux en parler. On peut nous entendre», chuchote la guide. «C’est la place Tahrir.» Immédiatement, les souvenirs remontent à la surface…
Printemps arabe
25 janvier 2011, la place Tahrir est noire de monde. Des milliers de manifestants s’y sont fixé rendez-vous. Ils réclament le départ du président Hozni Moubarak, à la tête du pays depuis trente ans. Quel lieu plus symbolique pour un mouvement populaire que celui se traduisant par «libération» et «indépendance» ? Au même moment, en Tunisie, l’histoire est aussi en marche. Elle l’est depuis le 17 décembre exactement. Ce jour-là, un vendeur ambulant de primeurs, Mahamed (Tarek) Bouazizi, s’est suicidé en s’immolant par le feu. La raison de ce geste ? Le désespoir après s’être fait confisquer ses denrées par une policière. Le marchand de 27 ans est devenu le symbole de la lutte contre le pouvoir en place. Le soulèvement est national contre le régime du président Ben Ali, à la tête du pays depuis 1987. À peu près au même moment, le Yémen (janvier), Bahreïn (février), la Libye (février) et la Syrie (mars) sont aussi le théâtre de troubles importants contre leurs dirigeants. Des manifestations monstres réclament leur départ ou l’instauration de réformes, plus de liberté et de justice sociale. Les printemps arabes bourgeonnent. Vus d’Europe, ils semblent annoncer des jours meilleurs pour ces peuples. Mais si des fleurs de liberté éclosent çà et là, elles ne sont pas sans épines…
Fins de règnes
En Égypte, après une vingtaine de jours de troubles, les protestataires poussent le président vers la sortie. Moubarak quitte le pouvoir le 11 février 2011. Il est arrêté, jugé, condamné et emprisonné. En Tunisie, Ben Ali prend la fuite. L’heure de la fin du règne sonne aussi pour Kadhafi en Libye. Le «raïs» est tué en octobre 2011 après que la contestation s’est muée en guerre civile. Enfin, le Yémen chasse du pouvoir celui qui présidait sa destinée depuis trente-deux ans, Ali Abdallah Saleh.
Hiver arabe
Dix ans plus tard, en évaluant ces éveils printaniers, beaucoup d’observateurs parlent d’«hiver arabe». «Nombre de pays sont dans une situation pire qu’aux premiers jours des révoltes. Les manifestations populaires, massives, ont été suivies au mieux de réformes précaires, au pire d’un retour à un ordre autoritaire, voire à d’interminables conflits armés», juge-t-on à l’AFP et sur France 24. «Le bilan est maigre pour cette révolution du monde arabe qui n’a jamais vraiment eu lieu.» Les Echos tempèrent à peine : «Seule la Tunisie a pris le chemin de la démocratie.» Et ce minitrip au Caire, il y a un an ? Il s’est soldé sans voir la place Tahrir ni le célèbre marché Khan el Khalili. «Ce n’est pas sûr, il vaut mieux éviter pour l’instant», a conclu la guide sous le regard noir de son collègue du ministère du Tourisme. Les «Ethbet !» («Tenez bon !») et «Erhal !» («Dégage !») scandés par les manifestants du printemps arabe résonnent au loin. Très loin…
Cet article est paru dans le Télépro du 25/2/2021
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