Le permis à point du «bon Chinois»
En Chine, un système à l’essai instaure une surveillance numérique tous azimuts pour donner de bons ou mauvais points à ses citoyens. Un sujet évoqué ce jeudi à 22h30 sur La Une dans «Doc Shot».
La Chine totalitaire expérimente dans la vie réelle la fiction dystopique qu’imaginait George Orwell en 1949 dans son roman «1984». Dans ce récit d’anticipation, Big Brother surveille les faits et gestes de chaque individu. Y compris ses pensées. Cette dictature «orwellienne» cauchemardesque se dessine dans l’Empire du Milieu.
Garantie morale par le crédit social
À l’essai depuis 2015, le système chinois de crédit Sesame Credit, d’abord exclusivement financier, s’est étendu à la sphère sociale. Il engrange un ensemble de données (via Internet, cartes bancaires, caméras de reconnaissance faciale…) qui évaluent la fiabilité des individus et des entreprises, y compris les sociétés étrangères basées là-bas.
Cette idée est née de la proposition avancée en 2011 par le Premier ministre de l’époque, Wen Jiabao. Ses arguments : «Le manque de solvabilité est encore important. Bien qu’elles soient interdites, la fraude commerciale, la contrefaçon, les faux rapports ou les fausses déclarations continuent d’avoir lieu. Le système de crédit social va offrir une garantie morale pour le bon développement de l’économie, la politique, la culture et la société !»
Autrement dit, ce concept devrait assurer honnêteté, autodiscipline, fiabilité. Et les malhonnêtes seront punis ! But recherché : «Donner le sentiment que garder la confiance est glorieux et la briser est honteux.»
Bons et mauvais points infantilisants
Curieusement, beaucoup de Chinois ont accueilli cette façon de fonctionner – officiellement non obligatoire pour le moment – avec satisfaction. Surtout les «bons élèves» qui, en cumulant de bonnes notes, sont récompensés. Ils peuvent louer des voitures sans caution, obtenir de meilleurs taux de change, éviter les files d’attente à l’hôpital ou à l’aéroport, profiter de salles d’attente sécurisées dans les gares, etc.
Pour «mériter» cela, encore faut-il être exemplaire. Car les attitudes taxées d’infractions sont légion : mauvaise conduite sur la route, tabagisme en zone non-fumeurs, publications abondantes sur les réseaux sociaux, manque de vigilance envers l’animal de compagnie, gaspillage d’argent pour des achats frivoles, consommation excessive de jeux vidéo…
«Quelqu’un qui joue à des jeux vidéo dix heures par jour sera considéré comme oisif, mais quelqu’un qui achète fréquemment des couches sera considéré comme un parent plus susceptible d’avoir un sens des responsabilités», explique Li Yingyun, directeur de Sesame
Dossier individuel et exclusion sociale
Wen Quan, blogueuse en technologie et finance, n’y voit que du positif : «Le système de crédit renforce la confiance entre tous. Sans cela, un escroc peut commettre un crime à un endroit, puis le refaire ailleurs. Mais le système enregistre l’histoire des gens. Cela construira une société meilleure et plus juste !»
Ce n’est pas du goût des sanctionnés. Parmi leurs punitions : interdiction de voyager en avion, connexion Internet lente, restriction du luxe dans les trains et hôtels, confiscation de l’animal de compagnie promené sans laisse, exclusion à l’embauche ou refus de prêt à un jeune étudiant dont le parents est mal coté !
«Ceux qui perdent leur crédibilité auront du mal à faire un petit pas dans la société», a dit le Premier ministre Li Keqiang en 2018.
Sans sommation…
Liu Hu, journaliste en Chine mis sur liste noire, a confié au Globe and Mail : «Il n’y a aucun dossier, ni mandat de police, ni notification préalable officielle. Ce qui est effrayant, c’est que vous ne pouvez rien y faire, rien signaler à personne. Vous êtes coincé au milieu de nulle part !»
Cet article est paru dans le Télépro du 6/1/2022
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