L’avenir incertain des hypermarchés
Dans un documentaire «Hypermarchés, la chute de l’empire» diffusé mardi à 20h55 sur Arte, le journaliste Rémi Delescluse lève le voile sur le déclin de la grande distribution et ses méthodes de négociation brutales, parfois illégales, avec les fournisseurs de produits alimentaires.
Le modèle de l’hypermarché a-t-il fait son temps ? Ce concept révolutionnaire du «tout sous le même toit», popularisé en 1963 par Carrefour, a conquis le monde. Aujourd’hui pourtant, le pionnier français, comme ses concurrents, a un genou à terre.
En cause notamment, la crise du gigantisme, associé à une déshumanisation du commerce et à la surconsommation, pointée du doigt à l’heure des grands défis écologiques. Selon les experts, la toute-puissance de certains groupes serait menacée d’ici dix ans.
Sauve qui peut…
Désormais, tout le secteur cherche à sauver ce qui peut l’être, quitte à verser dans des pratiques à la limite de la légalité. Pour obtenir des prix toujours plus bas, les grandes enseignes mettent les fournisseurs sous pression au cours de renégociations annuelles réputées difficiles… Sans compter les contrats qui gardent captifs les franchisés ou les nouvelles alliances européennes de centrales d’achats, opaques, qui facturent aux fournisseurs des services qualifiés par certains de «fictifs».
Rémi Delescluse, pourquoi le modèle des hypermarchés est-il en crise ?
La société change, la profusion de l’offre excite moins le consommateur, qui privilégie des surfaces plus petites, en centre-ville. Il y a aussi l’émergence des enseignes spécialisées, par exemple dans le bio, et bien sûr la grande révolution provoquée par les acteurs du e-commerce, comme Amazon. Ils ont commencé par attaquer la grande distribution sur le non-alimentaire (textile, maroquinerie, électroménager), secteur que cette dernière a dû peu à peu délaisser. Or ces produits à forte rentabilité finançaient les rayons moins lucratifs, comme l’alimentation.
Cette évolution débouche aujourd’hui sur une «guerre des prix» autour des produits alimentaires…
En matière alimentaire, les hypermarchés vendent à peu près tous la même chose. Pour attirer le consommateur, il leur faut donc se différencier sur le prix. Cette baisse des prix se répercute sur les fournisseurs, à savoir les entreprises de l’agroalimentaire.
De quelle façon ?
Les hypermarchés ont confié leurs intérêts à des centrales d’achats pour ces négociations, qui, d’après les fournisseurs, se révèlent souvent plus «viriles», à la baisse pour eux, et parfois illégales. Les acteurs de la grande distribution sont d’ailleurs régulièrement épinglés par les services de l’État pour des pratiques commerciales abusives.
Face à ce climat de terreur, pourquoi les fournisseurs ne claquent-ils pas la porte ?
Ils n’ont pas le choix. La grande distribution se concentre autour de sept ou huit acteurs dominants, indispensables pour les entreprises de l’agroalimentaire. En état de dépendance économique, celles-ci reviennent chaque année à la table des négociations. Par ailleurs, si un fournisseur étale sur la place publique ses difficultés avec la grande distribution, il risque d’être sévèrement sanctionné, de disparaître des rayons des hypermarchés et de perdre une part importante de son chiffre d’affaires.
Comment la grande distribution justifie-t-elle ce modèle ?
Par ce postulat : le consommateur veut des prix bas. Elle explique défendre le pouvoir d’achat des Français en leur offrant la possibilité de se nourrir pour pas cher dans un contexte de crise. Mais cette guerre des prix a évidemment des conséquences sur toute la chaîne de production, sur les fournisseurs, sur l’emploi… Nous sommes face à un engrenage : un secteur de la grande distribution très concurrentiel qui traverse une zone de turbulences, des fournisseurs soumis à des impératifs économiques et des consommateurs qui se déplacent dans les hypermarchés parce que des prospectus leur promettent des promotions.
Entretien : Raphaël Badache
Cet article est paru dans le Télépro du 29/9/2022
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