Laure Adler : «Stop au jeunisme !»
Ce mercredi à 22h55 sur France 2 avec le documentaire «La Révolte des vieux», la journaliste de 72 ans pousse un cri du cœur et de colère contre les conditions imposées par la société aux personnes âgées.
Pour nous raconter le «bonheur» de vieillir, Laure Adler a recueilli le témoignage de personnes connues et anonymes.
Vous enquêtez sur les personnes âgées depuis 2014. Pourquoi ?
La France est un pays de vieux et la plupart des gens nie cette réalité, alors que c’est une richesse et non une honte. Il faut arrêter de les stigmatiser et les inclure car les personnes âgées apportent une contribution bénéfique à la société. Or, on exclut les vieux au profit des jeunes qu’on glorifie. Ce n’est pas juste ! On a le droit de vivre ensemble, toutes générations confondues. Après avoir enquêté dans plusieurs pays, j’ai constaté que ce problème était spécifique à la France.
Dans Libération, vous avez déclaré : «Je suis vieille et je vous emm… ! ». Pourquoi avoir poussé ce coup de gueule ?
J’ai pris conscience que, moi-même, en vieillissant par la force des choses, je devenais le parent de mes propres parents atteints par le grand âge. Pour m’occuper d’eux, comme beaucoup de Français, j’ai fait face à de grandes difficultés pour trouver la meilleure façon de prendre soin d’eux tout en préservant leur bonheur et leur tranquillité. J’ai finalement été obligée de les installer dans un EHPAD (maison de retraite médicalisée, ndlr). J’ai commencé à enquêter pour vérifier si d’autres personnes vivaient la même situation.
Avez-vous hésité à parler de la sexualité des personnes âgées ?
Pas du tout. J’ai compris dès le début de mon enquête que la sexualité des vieux était considérée comme tabou. Mais n’en déplaise, les seniors continuent à ressentir du désir, les femmes peuvent tomber amoureuses et dans les EHPAD, il y a des histoires d’amour qui, pendant longtemps, ont été tues.
À quel âge vous êtes-vous sentie «vieille» ?
À 50 ans, j’ai pris un coup de tonnerre sur la tête car j’ai réalisé que désormais, il me restait moins d’années à vivre que déjà vécues. Cette prise de conscience, qui a été un véritable tsunami, a marqué le début de ma vieillesse.
En vieillissant, quels sont les désagréments qui vous handicapent le plus?
Je n’ai plus autant d’énergie pour abattre autant de boulot qu’auparavant, sans compter que j’ai des jours avec et des jours sans. Plus jeune, non seulement je ne pensais jamais à mon âge, mais je n’ai jamais eu conscience qu’un jour je serais vieille.
Au-delà de l’expérience, existe-t-il des bons côtés à prendre de l’âge ?
Il faut savoir en profiter et apprécier l’éloge de la lenteur. On peut prendre son temps pour admirer la beauté de la nature ou d’un texte, se consacrer pleinement à ceux qu’on aime en essayant de transmettre un peu de son savoir, notamment aux petits-enfants. Il y a une série de petites activités qui me paraissaient sans intérêt, parfois même stupides, et qui, aujourd’hui, sont devenues belles.
Vous ne retenez que le côté positif, mais vieillir n’est pas toujours une sinécure…
Oui, je ne nie pas que vieillir n’est pas toujours drôle. On a tendance à perdre un peu la mémoire, on marche moins vite et dans les bus, on vous propose une place assise parce que paraissez ne plus être capable de rester debout ! Mais si nos capacités physiques diminuent, nos cerveaux fonctionnent parfaitement. Nous vivons dans une société de jeunisme effréné et exacerbé qui donne l’impression que ce sont les jeunes qui font la loi. J’estime qu’on a le droit de vieillir sereinement.
Qu’avez-vous gardé de l’enfant que vous avez été ?
La naïveté, l’impatience, le désir de la beauté et, à cause de mon enfance en Afrique, une attirance irrépressible pour la mer. Grandir en face de la mer a été une grande chance.
Avez-vous hésité à intégrer votre maman dans le documentaire ?
Au départ, j’ai refusé, mais ma mère étant décédée en juin dernier, je suis heureuse que mon chef-opérateur et mon cameraman, qui sont d’une grande humanité, l’aient filmée à mon insu. Aujourd’hui, pour toute ma famille, ces images sont le seul témoignage de ma mère vivante.
Avez-vous fixé la date de votre départ à la retraite ?
Oui, j’arrête en juin 2023. Cela fait trois ans que j’annonce mon départ, mais cette fois-ci, je tiendrais parole. À mon âge, il faut savoir laisser la place aux jeunes…
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