L’affaire du talc, erreur fatale

«L'affaire du talc Morhange», contenant par erreur un puissant bactéricide, éclate le 24 août 1972 avec la mort de 36 bébés et l'empoisonnement de dizaines d'autres © RTBF/13e Rue/Bonne pioche
Alice Kriescher Journaliste

Dimanche à 22h15 dans «50 ans de faits divers», La Trois revient sur un terrible fait divers, qui avait ébranlé la France entière dans les années 1970, l’affaire du talc empoisonné.

Changer la couche de son bébé, une routine anodine que pratiquent les jeunes parents quasiment les yeux fermés. Il y a cinquante ans, ce geste banal a pourtant provoqué la mort de trente-six bambins. Retour sur un scandale industriel.

Maudite poudre

Été 1972. Dans le brouhaha du service de pédiatrie de l’hôpital Manchester, à Charleville-Mézières, le chef du secteur, le docteur Jean François Elchardus, est perplexe. Il lit sans relâche le tableau clinique décrivant les symptômes dont souffrent plusieurs nourrissons : fesses très irritées, état somnolent, entrecoupé de paroxysmes nerveux, évolution foudroyante, décès dans un délai de 24 à 48 heures.

Cette étrange épidémie frappe son service, mais aussi ceux de Troyes, de Sens et de Montargis, depuis plusieurs semaines. Et, il vient de l’apprendre, le petit Hervé Bouanich, 14 mois, a succombé à ce curieux mal. L’enfant était pourtant costaud.

Au cœur de l’été, le Ministère décide de mettre un épidémiologiste, Gilbert Martin-Bouyer, sur le coup. Dépêché sur place, l’expert interroge les familles des victimes. Le dénominateur commun à ces drames apparaît rapidement : le talc de la marque Morhange.

Gilbert Martin-Bouyer s’empresse de faire analyser le produit. «Une « teneur exagérée en hexachlorophène », un puissant bactéricide, est révélée», détaille Ouest France. «Dans la foulée, un test est effectué sur un chien : l’animal meurt en deux heures.»

Facteur humain

Fin août 1972. Le ministère de la Santé s’empresse de mettre en garde la population sur les accidents qui «pourraient être dus à l’emploi du talc Morhange». Mais pour les parents des 36 enfants décédés et des plus de 200 intoxiqués, une question tourne en boucle : comment ?

À l’époque, l’hexachlorophène est utilisé pour ses vertus antiseptiques, à de faibles doses, dans de nombreux cosmétiques, comme le dentifrice ou le déodorant. Cependant, il n’entre pas dans la composition du talc. Très vite, les yeux se tournent vers l’entreprise Setico, un sous-traitant qui conditionne différents produits, dont la poudre Morhange. Dans cette société parisienne, l’hexachlorophène, nécessaire pour certains de leurs clients, est stocké dans des fûts.

«Or, un jour, un ouvrier a utilisé un fût à moitié plein en pensant qu’il contenait du talc alors qu’il était rempli de 38 kilos d’hexachlorophène qui se sont donc retrouvés incorporés à la chaîne de fabrication du talc Morhange», relate le journal La Croix. «Au total, 3.522 boîtes de talc ont été contaminées et mises sur le marché.»

Huit ans plus tard, les prévenus, dont les directeurs des sociétés Morhange et Setico se retrouveront sur le banc des accusés. Avant la tenue du procès, de nombreuses familles, fatiguées d’attendre que la justice se mette en route, ont accepté les indemnisations proposées. En appel, les inculpés seront condamnés à des peines de prison de douze mois.

Et après ?

En 1991, l’OMS publie une étude réalisée par le Dr Martin-Bouyer, qui a évalué les séquelles de l’intoxication au talc sur 56 enfants. Cette dernière montre que «certaines lésions du système nerveux central, observées pendant la phase aiguë de l’intoxication, sont irréversibles et laissent subsister des handicaps neurologiques majeurs», détaille La Croix.

Plus tard, le médecin tentera de réaliser une étude à plus long terme, «mais je n’ai obtenu aucun soutien financier», déclare-t-il au journal. «Le talc Morhange, visiblement, n’intéressait plus personne.» 

Cet article est paru dans le Télépro du 15/9/2022

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