La vraie guerre des fausses infos

Dimanche soir, France 5 plonge au cœur de la propagande russe © France 5/Babel Doc/Together Media

Entre la Russie et l’Ukraine, la bataille fait aussi rage sur le terrain de la désinformation, comme l’explique un nouvel épisode de la série documentaire «La Fabrique du mensonge» ce dimanche à 20h55.

Sur le plateau de la chaîne Russia 1 ce soir-là, le présentateur Arkady Mamontov est très inspiré. «Le spectre du national-socialisme et du fascisme s’est réveillé et rôde en Ukraine», lance-t-il, la mine grave. «Un groupe nazi s’est emparé du pouvoir», surenchérit le politologue Sergey Kurginyan. «C’est à peu près aussi terrible d’être russe en Ukraine que d’être juif en Allemagne en 1933.»

Ce 25 février 2014, alors que la révolution pro-occidentale fait rage place Maïdan à Kiev, le spectre du nazisme est brandi par le Kremlin. Huit ans plus tard, quand les chars de l’armée rouge franchissent la frontière ukrainienne, la Russie justifie son invasion par la nécessité de dénazifier le pays.

Arme de guerre

La désinformation commence donc bien avant le début de «l’opération spéciale» (comme l’appelle Vladimir Poutine). Elle s’accompagne d’autres mythes comme celui de la menace d’un génocide des populations ukrainiennes russophones. Une fois les hostilités entamées, elle s’amplifie.

L’objectif est double : induire l’ennemi en erreur et s’attirer les faveurs de l’opinion publique. Pour l’atteindre, les médias d’État russes servent de caisse de résonance. Parmi les plus actifs : la chaîne de télé Russia Today (RT), l’agence de presse multimédia internationale Sputnik et l’agence de presse TASS. Mais de très nombreuses autres sources se lancent elles aussi dans la bataille des fake news.

Le 23 novembre dernier, le Centre de suivi de la désinformation Russie-Ukraine, de la start up américaine NewsGuard, répertorie 306 sites «qui diffusent de la désinformation de guerre et les principaux mythes qu’ils relaient». Sont aussi repris dans ce décompte les réseaux sociaux et les plateformes de messagerie instantanée utilisés par les Ukrainiens «pour répondre à la machine de désinformation du Kremlin».

Fantôme et bombes sales

Les mythes les plus variés sont déversés sur la Toile. Côté prorusse, il est question de «frappes nucléaires préventives» demandées par Volodymyr Zelensky à l’Otan, de discours du président ukrainien appelant la population à «tuer les Russes un par un», d’un trafic d’organes d’enfants dans lequel la Croix-Rouge en Ukraine serait impliquée…

Les Ukrainiens font plutôt appel au storytelling, des récits qui mettent en valeur la bravoure de l’armée. Nombre d’utilisateurs de TikTok ont ainsi assisté aux hauts faits d’arme d’un pilote de chasse baptisé «le fantôme de Kiev». Il aurait abattu six avions russes… Les images provenaient en réalité d’un jeu vidéo.

La traque aux fausses informations est donc ouverte. Euronews a ainsi pu déterminer que des images de chars russes sensés se déployer en Ukraine avaient été filmées à des milliers de kilomètres de là en 2019. Dans un autre registre, le New York Times a fait appel à des images satellites pour prouver que les corps des victimes de Boutcha étaient déjà là quand les Russes ont quitté la ville. Les Ukrainiens n’avaient rien mis en scène.

Dilemme

Pour diffuser ces fausses informations, les sites financés par l’État russe utilisaient au début du conflit les grandes plateformes comme Facebook, Google, TikTok ou Twitter. Non seulement ils touchaient des millions d’utilisateurs, mais ils se finançaient grâce à la publicité. Depuis le début du conflit, la Russie s’est dotée d’une nouvelle loi punissant lourdement (quinze ans de réclusion) tout auteur de fausses informations concernant l’armée russe.

Facebook, Instagram et WhatsApp sont interdits dans le pays. Côté occidental, Meta dit avoir fermé 2.365 comptes et pages qui propageaient de fausses informations en Europe, RT et Sputnik News sont interdits de diffusion sur le territoire de l’Union européenne. Dans un camp comme dans l’autre, l’impact de ces mesures est impossible à vérifier. Mais la désinformation reste en première ligne.

Cet article est paru dans le Télépro du 8/12/2022

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