La face cachée de Ryanair
« Terroriser les gens est le meilleur moyen de les inciter à travailler… » Cette boutade de Michael O’Leary, patron de Ryanair, en dit long sur son management.
Comment la compagnie low-cost irlandaise est-elle devenue la plus rentable d’Europe ? À quel prix pour ses salariés ? Un jeune réalisateur français a voulu comprendre. Après avoir investigué sur les conditions de travail chez McDonald’s en 2022, Tom Cariou a enquêté sur « le système Ryanair ». Son reportage, intitulé « Sous haute pression : le système Ryanair », est diffusé ce vendredi à 19h50 sur RTL tvi.
Pourquoi cette enquête ?
Mon immersion chez McDonald’s m’a fait prendre conscience des conditions de travail des jeunes, sur qui pèse particulièrement l’exigence de productivité croissante de notre économie. J’ai été interpellé par plusieurs témoignages de jeunes stewards et hôtesses de l’air Ryanair sur les réseaux sociaux. La compagnie compte plus de dix mille « cabine crew », membres du personnel de cabine, basés partout en Europe. Ce sont essentiellement des jeunes. On peut postuler dès 18 ans : il suffit de maîtriser l’anglais et de suivre une formation de six semaines, puis on se retrouve rapidement en stage sur un vol. Les salaires sont bas, mais on peut progresser et devenir chef de cabine à 22 ans.
Comment avez-vous procédé ?
J’ai enquêté pendant un an et demi. Je suis allé à la rencontre du personnel basé en Angleterre, en France, en Belgique et aux Canaries, mais beaucoup refusaient de témoigner. Ceux qui ont accepté une interview filmée sont soit syndiqués, soit d’anciens salariés, ou restent anonymes. Le système Ryanair, c’est l’optimisation de tous les coûts, une productivité élevée, des coûts de travail les plus bas possible et des aéroports moins taxés. C’est pour cette raison qu’ils sont basés à Beauvais et non à Orly, à Bergerac au lieu de Toulouse, à Charleroi et non plus à Bruxelles…
Vous avez également effectué plusieurs vols en caméra cachée…
Je voulais filmer des scènes de vente à bord. Le personnel de cabine est contraint de vendre divers articles (snacks, parfums, loterie…) et atteindre un certain chiffre d’affaires. Il intériorise tellement cette pression qu’il achète lui-même un produit s’il n‘est pas parvenu à son objectif. Par ailleurs, le personnel doit payer son uniforme dès qu’il faut en remplacer une pièce. Pour les hôtesses de l’air, la jupe est gratuite, pas le pantalon ! Le coupe-vent, très léger, est offert, pas le manteau d’hiver. Il faut entretenir cet uniforme pour qu’il soit impeccable, alors qu’il s’agit de vêtements de mauvaise qualité.
Vous parlez de « management brutal » …
J’ai pu le constater surtout à Londres, la plus grande base Ryanair, surnommée le Guantanamo. Comme il y a trop peu de managers pour beaucoup de « cabine crew » à former, c’est de la gestion dictatoriale par la peur. Pour tenir les rangs, il faut crier fort. Ce management toxique provoque de l’anxiété et des dépressions…
Les syndicats n’ont pas de pouvoir ?
Ils signent des accords aux rabais et prennent ce que la direction veut bien leur donner. Ils font toutefois progresser petit à petit les conditions de travail : c’était pire il y a cinq ou dix ans ! Les salaires restent néanmoins trop bas et ne tiennent pas compte des horaires exigeants, ni de l’impact de tous ces vols sur la santé. Celui qui tombe un peu trop souvent malade, par exemple, reçoit un avertissement. J’ai rencontré un steward qui travaillait alors qu’il avait une otite et l’oreille en sang…
Et la sécurité, est-elle aussi victime de la productivité ?
Non, on ne peut rien reprocher à Ryanair au niveau de la sécurité. Le processus est industrialisé, les avions sont très régulièrement contrôlés.
Votre conclusion ?
Qu’il faudrait traiter aussi un autre sujet sur Ryanair, celui de l’argent public reçu. Sous prétexte qu’elle crée de l’emploi et paie des impôts là où elle s’installe, la compagnie reçoit des subventions et des exonérations sur ses frais d’exploitation. Dès qu’on veut augmenter les taxes dans un aéroport, Ryanair menace d’aller s’installer ailleurs. Les territoires ne sont-ils pas pris au piège ? Je ne comprends pas cette complaisance des pouvoirs publics.
Cet article est paru dans le Télépro du 5/12/2024
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