Iran : les ayatollahs du cinéma

Pour tourner et faire sortir du pays son film «Le Diable n’existe pas», le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof a dû faire preuve d’incroyables ruses et audaces © Arte/Cosmopol Films

En Iran, la censure bride son 7e art, pas l’imagination ni le talent des réalisateurs. Ce lundi à 23h, Arte diffuse le film «Le Diable n’existe pas», un «conte» sur le totalitarisme en Iran.

Ne partez pas en courant ! Si le cinéma iranien ne vous dit rien, ou peut-être rien qui vaille, votre avis aura peut-être changé lors du clap de fin de cet article. Les moments de bravoures des femmes et des hommes qui font ce cinéma valent tous ceux des blockbusters. Leur ingéniosité pour tromper les autorités dépasse celle des meilleurs thrillers. Leur courage pour défendre leurs idées est une histoire d’amour pour la liberté. Allez, on y va ? Vous le ne regretterez pas. Action !

Hors-la-loi

Mohammad Rasoulof. Le nom de cet iranien de 52 ans ne vous dit peut-être rien. Il est pourtant un des réalisateurs les plus célèbres de son pays et de la planète cinéma toute entière. Ce ne sont pas seulement les prix qui lui valent la notoriété et la reconnaissance de la profession. Celui qui a décroché les lauriers 2017 de «Un certain regard» au Festival de Cannes et «L’Ours d’or du meilleur film» à la Berlinale de Berlin 2020 fait preuve d’un engagement sans faille contre les règles liberticides du régime iranien. Même s’il doit le payer au prix fort.

2011 : une condamnation à six ans de prison assortie de l’interdiction de voyager, de s’exprimer dans les médias et d’exercer son métier. 2019 : un an de prison ferme et une nouvelle interdiction de quitter le territoire. Il est officiellement libéré il y a un an mais n’est pas autorisé à venir en France pour participer au jury du dernier Festival de Cannes. Ce que la dictature lui reproche ? Atteinte à la sécurité nationale et propagande contre le régime. Malgré la répression dont il fait l’objet, Mohammad Rasoulof ne lâche pas l’affaire face à une censure qui bride son art depuis plus d’un siècle.

Le Shah montre les dents

Le cinéma et l’Iran, c’est une longue histoire. Le premier film iranien remonte au début du XXe siècle. En juillet 1900, Akkas Bashi, photographe et cinéaste de la cour, devient l’un des pionniers du cinéma iranien : il tourne la Fête des fleurs lors de la visite du Shah de Perse… en Belgique. Pour que la censure pointe le bout de son nez devant l’objectif, il faut attendre 1930. La dynastie Pahlavi règne sur le pays (qu’il faut appeler Iran depuis 1935). Pas question pour elle du moindre manque de respect vis-à-vis d’elle-même, de la religion, de la loi, de la morale… Cela passe par des commissions de projections ou des changements de dialogues au doublage. Dans les films, vous ne verrez pas non plus d’écharpe rouge, symbole du communisme, ni d’un Iran rétrograde.

Changement de bobines

16 janvier 1979. Mohammad Reza Pahlavi, dernier shah d’Iran, est renversé par la révolution. Il s’exile. Le 7e art se met à l’heure du «cinéma islamique». La moitié des salles obscures ferment leurs portes, les films occidentaux et populaires locaux (à l’eau de rose) sont interdits, la censure impériale est abolie. Elle cède la place à celle de la République. Celle-ci prévoit, notamment, d’interdire purement et simplement un film s’il ne respecte pas la morale islamique. Une commission valide le scénario, une autre s’assure du visionnage final. Pas question de voir les cheveux d’une femme ou qu’une actrice et un acteur jouent plus de trois films ensemble pour éviter une éventuelle liaison amoureuse. Un homme et une femme s’embrassent ? Interdit. Partagent la même maquilleuse ? Défendu. Se touchent dans un espace public ? Tabou. Dans ces conditions, comment le cinéma iranien est-il aujourd’hui internationalement reconnu ? Grâce à celle et ceux qui le font.

À haut risque

Quelques noms. Zar Amir Ebrahimi. Actrice. Fuit son pays en 2008. Motif : condamnée à 100 coups de fouets et dix ans d’interdiction de toute activité artistique pour diffusion de vidéos «intimes» d’elles sur le net. Reçoit le Prix d’interprétation féminine du Festival de Cannes 2022. Jafar Panahi. Réalisateur. Condamné à une peine de six ans de prison prononcée en 2010 pour «propagande contre le système», arrêté en 2022 pour «activisme antirévolutionnaire». Primé à Berlin, Cannes, Venise. Mohammad Rasoulof. Retour au début de cet article. Pour tourner et faire sortir du pays «Le Diable n’existe pas», un «conte» sur le totalitarisme en Iran diffusé ce lundi sur Arte, le réalisateur a fait preuve d’une incroyable audace. «Couper» son film en quatre courts métrages pour ne pas attirer l’attention des censeurs, tourner clandestinement, ruser dans les espaces publiques (un aéroport), faire face à des désistements dans l’équipe. Pour faire vivre ce cinéma iranien, ses différents acteurs doivent accepter de payer le salaire de la peur…

Cet article est paru dans le Télépro du 15/2/2024

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