Hongrie, de l’insurrection à Viktor Orbán

Viktor Orbán, Premier ministre de 1998 à 2002 avant de s’installer au pouvoir en 2010, preste son 4e mandat consécutif © Getty Images

En un peu moins de 70 ans, l’histoire contrastée d’un pays où la démocratie est malmenée. Ce mardi à 20h55, Arte diffuse le documentaire «Hongrie, quand la démocratie vacille».

Elle s’appelait Eva. À la fin des années 1960, cette jeune adolescente au visage rond et aux pommettes saillantes est l’une des meilleures amies de ma grande sœur. Elles sont dans la même classe en secondaire et Eva vient parfois à la maison après l’école. Quand ils viennent la rechercher, ses parents échangent quelques mots avec les miens. Ils ont un drôle d’accent, roulent les «r», parlent d’une manière spéciale, sans nécessairement conjuguer les verbes. J’apprends qu’Eva, sa maman et son papa ont fui leur pays quelques années plus tôt, quand les chars soviétiques l’ont envahi. Ils sont hongrois.

La tragédie

Images de rues et de blindés en noir et blanc, fond musical dramatique, voix off : «Aujourd’hui, un deuil, le deuil d’une nation, écrase la conscience du monde.» Depuis le 23 octobre 1956, c’est l’insurrection en Hongrie. Les habitants sont dans la rue, ils manifestent contre le régime communiste, contre la mainmise de Moscou sur celui-ci. «Debout, Hongrois, la patrie nous appelle !», chantent à tue-tête les insurgés. «Nous jurons que jamais plus esclaves nous ne serons !» La réponse du Kremlin est sans pitié. L’Armée rouge entre en Hongrie. «Le drame d’une Hongrie qui s’efforçait de se débarrasser de ses liens s’achève dans le sang de son peuple», conclut la voix off. «Les chars russes l’ont réduite au silence.» Le 10 novembre, Radio Budapest se tait. La répression fait près de 20.000 morts et 15.000 déportés. De longs cortèges de réfugiés fuient le pays. Parmi ces dizaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes aux yeux angoissés, il y a les parents d’Eva.

L’espoir

Trente-trois ans plus tard, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. En Hongrie, le régime communiste n’a pas attendu cette date pour s’effondrer. En juin 1989, les protagonistes de l’insurrection de Budapest de 1956 sont réhabilités. En octobre, le Parti communiste s’autodissout. Le rideau de fer vacille, il tombe quelques jours plus tard. Avec une longueur d’avance sur les autres pays du bloc de l’Est (sauf la Pologne), le pays franchit le pas vers ce que nous voyons de Belgique à l’époque comme la liberté. La preuve ? Lors d’une visite officielle du roi Baudouin à Budapest, les équipes de journalistes qui accompagnent le souverain dans la capitale se pressent pour prendre des images du McDonald’s qui vient d’y être inauguré…

Orbán est là

Les troupes soviétiques quittent le pays, la Hongrie postcommuniste vole désormais de ses propres ailes. Le 1er mai 2004, elle devient membre de l’Union européenne. Tout semble lui réussir, jusqu’à la crise économique mondiale de 2008. L’économie hongroise s’effondre. Aux élections de 2010, le parti socialiste s’écrase. Le grand vainqueur est l’Union civique hongroise, une formation d’extrême droite, nationaliste et populiste. Avec une majorité de 2/3 des voix au Parlement, le parti décroche le poste de Premier ministre. Un homme occupe désormais le pouvoir. Il ne le quittera plus. Viktor Orbán en est aujourd’hui à son 4e mandat consécutif.

Dictateur

Le modèle politique de cet homme de 61 ans, c’est la «démocratie illibérale». Réforme de la Cour constitutionnelle, attaques contre la liberté et la pluralité de la presse, affaiblissement de l’indépendance de la justice : «Viktor Orbán s’emploie depuis des années à limiter l’exercice de la démocratie dans son pays», analyse touteleurope.eu, le site d’information pédagogique sur l’Union européenne.

Pourquoi les Hongrois votent-ils massivement en faveur de ce fervent chrétien, farouche opposant à l’immigration ? Les raisons sont multiples. Elles vont de la (relativement) bonne santé économique du pays (malgré la crise sanitaire) au désir de stabilité, en période de guerre chez un voisin. La proximité de leur Premier ministre avec Vladimir Poutine semble avoir valeur de garantie de paix pour l’électeur hongrois. Ajoutez à cela une opposition politique que certains décrivent comme «en ruine» et vous aboutissez à une nouvelle victoire politique lors des dernières élections européennes. Tout cela malgré le retrait de Fidesz du Parti populaire européen, un PPE qui menaçait de l’exclure en raison de violations des valeurs démocratiques et de l’État de droit.

Depuis 1956, la Hongrie est passée d’une révolution contre la main de fer communiste qui la dirigeait au plébiscite de Viktor Orbán. Eva devrait avoir bientôt 70 ans. Que doit-elle penser de tout cela ?

Cet article est paru dans le Télépro du 27/6/2024

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