Holodomor : l’Ukraine affamée
Il y a 90 ans, une terrible famine, orchestrée par Staline, causa des millions de morts. Un sujet évoqué ce samedi à 20h30 sur La Trois dans «Retour aux sources».
Récoltes incendiées, champs minés, exportations bloquées… Depuis le début de la guerre en Ukraine, les céréales ont été au centre des attentions. «C’est une stratégie de Vladimir Poutine d’utiliser la faim comme arme de guerre, en Ukraine et au-delà», déclarait d’ailleurs le ministre allemand de l’Agriculture l’été dernier. Une situation rappelant l’«Holodomor», une famine qui a endeuillé le grenier à blé de l’Europe en 1932-33 et qui fait l’objet d’un documentaire dans «Retour aux sources».
Après les années difficiles de la Grande Guerre et de la révolution d’octobre, Lénine redresse le pays, dès 1921, grâce à sa «Nouvelle politique économique». Intégrée à la jeune Union soviétique, l’Ukraine, réputée pour ses terres à céréales et l’abondance de ses fruits et légumes, est alors en plein essor et sa population paysanne s’enrichit. En succédant à Lénine, Joseph Staline n’a qu’une idée en tête : l’industrialisation de l’URSS. Pour la financer, il vise l’exportation massive de céréales, notamment ukrainiennes.
Collectivisation forcée
Le «petit père des peuples» lance d’abord une campagne de collectivisation forcée des campagnes au cours de laquelle les autorités soviétiques réquisitionnent blé, légumes et bétail. La propriété privée est abandonnée au profit de fermes d’État et coopératives. Le gouvernement soviétique promulgue, le 7 août 1932, son implacable «loi des épis», punissant de dix ans de déportation, voire de la peine de mort, tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste.
Des milliers de citoyens sont déportés, tandis qu’à l’automne s’installe la famine, «aggravée par la volonté inébranlable de Staline de briser, par l’arme de la faim, les résistances paysannes à la collectivisation et aux prélèvements démesurés sur les récoltes», selon Nicolas Werth dans «Retour sur la grande famine ukrainienne de 1932-1933». «De longues files de malheureux errent le long des routes en quête de subsistance et gagnent les villes en quête de travail et secours», raconte André Larané sur Herodote. net. «Mais le gouvernement communiste ne reste pas sans réagir : à la fin décembre 1932, il institue un passeport unique pour tout le pays, avec interdiction pour quiconque de quitter son village de résidence sans autorisation du Parti ! Affaiblis, les gens meurent de froid et de faim dans leurs cabanes, le long des routes ou sur les trottoirs des grandes villes d’Ukraine, quand ils ne sont pas déportés sur un ordre arbitraire du Parti.»
Cannibalisme
À tous ces morts, s’ajoutent de nombreux suicides et le développement du cannibalisme ! «Le phénomène est si peu rare que le gouvernement fait imprimer une affiche qui proclame : «Manger son enfant est un acte barbare !»», ajoute l’historien. Après avoir fait environ sept millions de victimes en URSS (dont quatre millions en Ukraine), la famine s’atténue en mai 1933, avec le retour des fruits et légumes dans les jardins.
Ignorée du reste du monde, la tragédie ukrainienne est seulement révélée par Gareth Jones, journaliste britannique (dont l’histoire est retracée dans le film «L’Ombre de Staline»). Ce n’est qu’après la chute de l’URSS que l’horreur est enfin admise. Aujourd’hui, cette grande famine, honorée chaque quatrième samedi de novembre et baptisée «Holodomor» (soit «extermination par la faim»), est reconnue par l’Ukraine (et une vingtaine d’autres pays) comme un génocide. Excepté quelques historiens russes, la plupart des experts admettent aujourd’hui que le tyran soviétique visait l’extermination des opposants à la consolidation de son nouvel empire.
Cet article est paru dans le Télépro du 15/6/2023
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