Histoire : Saint-Pierre-et-Miquelon, et que vive la prohibition !
Durant les treize années de prohibition américaine, l’archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon s’est largement enrichi en devenant la plaque tournante du trafic d’alcool. Une page d’histoire racontée ce dimanche à 23h sur France 5 dans «La Prohibition américaine, une aubaine française».
En janvier 1920, les États-Unis s’apprêtent à entrer dans une nouvelle ère, celle de l’interdiction de la fabrication, du transport, de la vente, de l’importation et de l’exportation de boissons alcoolisées. Le « Volstead Act », nom du texte législatif imposant la prohibition, est une infamie pour les amateurs de bonnes liqueurs, une décision pleine de bon sens pour les autres et une opportunité inattendue pour certains pays étrangers, dont la France.
À l’eau, Oncle Sam !
« Cette nuit, une minute après minuit, naîtra une nouvelle nation. Le démon de la boisson fait son testament. Les portes de l’enfer se sont fermées pour toujours. » C’est par ces paroles que le 16 janvier 1920, le révérend Sunday, évangéliste militant, exhorta la foule venue l’écouter à se réjouir de l’entrée en vigueur de la prohibition. S’il parle d’enfer, le révérend a peut-être oublié que ce dernier est souvent pavé de bonnes intentions et, dans le cas de la prohibition américaine, c’est chose certaine. Dans les premières années, l’objectif du « Volstead Act » de voir les Américains se moraliser en diminuant leur consommation d’alcool fonctionne. Mais rapidement, la société américaine bascule dans l’une des périodes les plus sombres de son histoire : des rapports suggèrent que la consommation d’alcool augmente, celui de contrebande est souvent de mauvaise qualité et provoque des milliers de morts par intoxication, l’État s’appauvrit en perdant l’une de ses sources de revenus et, surtout, le crime organisé, la violence qui en découle et la corruption policière explosent outre-Atlantique, comme jamais auparavant.
Hypocrisie française
Non loin des gangs rivaux régnant sur le marché illégal de l’alcool se trouve l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, à seulement 25 kilomètres des côtes américaines. La proximité géographique du territoire français, où l’alcool reste donc légal, va faire du lieu un point de passage idéal pour infiltrer l’alcool européen sur les terres américaines. « Quand les bouteilles d’alcool sont débarquées à Saint-Pierre, elles sont soumises aux taxes et droits de douane français. Lorsqu’elles reprennent la mer, elles sont vendues à prix d’or à quelques encablures des côtes américaines », détaillait-on sur France Ô, en 2016.
Les autorités américaines implorent leurs homologues français de fermer les vannes de champagnes, bordeaux et autres cognacs, mais ces derniers, officiellement courroucés par ce qu’il se passe à Saint-Pierre, encouragent en coulisses l’archipel à poursuivre ses activités, le bénéfice étant bien trop grand pour y renoncer. « L’argent a tellement ruisselé qu’à Saint-Pierre, on ne savait plus comment stocker les liasses de dollars qui s’accumulaient dans les coffres-forts », reltate le documentaire diffusé dimanche soir sur France 5. « Cette manne providentielle a profité à la colonie, mais aussi à l’Hexagone, qui a empoché des taxes douanières faramineuses. »
Gentlemen bootleggers
Pour acheminer par les eaux les grands crus français aux États-Unis, il fallait des marins aventuriers, que l’on appelait des bootleggers. Ces derniers, au mépris de risques énormes, embarquaient leurs cargaisons en haute mer, affrontant garde-côtes américains à la gâchette facile et pirates avides de piller leurs précieux breuvages.
Parmi les plus célèbres des bootleggers français, le Saint-Pierrais Henri Morazé, qui est allé jusqu’à rencontrer Al Capone en personne et qui témoigne de cette période faste dans une archive diffusée sur France Ô. « Je pouvais charger 6.000 gallons de rhum, à 25 cents le gallon, pour le revendre en territoire de prohibition à 13 dollars le gallon. Et si on avait les garde-côtes aux fesses, on les payait ! » Les gouvernements américain et canadien ne pardonneront jamais à Henri Morazé sa filouterie, il y a été interdit de séjour jusqu’à sa mort, soit en 1986.
Cet article est paru dans le Télépro du 16/1/2025
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