Georges Picquart, soldat de la vérité
L’affaire Dreyfus qui secoua la France durant douze ans, fut le «Watergate» du XIXe siècle, désamorcé par un héros intègre et discret.
«Chacun connait le mythe Dreyfus, Zola, et peut-être Esterházy, le vrai coupable. Mais pour le reste… J’ignorais tout de Marie-Georges Picquart, un homme épris de justice», reconnaît Alain Goldman, producteur de «J’accuse», film aux neuf Césars en 2019, dont celui du Meilleur acteur pour Jean Dujardin. La star incarne ce fascinant colonel Picquart, professeur d’Alfred Dreyfus à l’École de guerre, dont l’opiniâtreté parvint à innocenter ce dernier.
Droiture et salissures
«Malgré son rôle déterminant, ce personnage n’eut pas de notoriété historique. Mais sa droiture m’a impressionné !», nous avait confié Jean Dujardin lors de la sortie du long métrage. Pourtant, le héros a d’abord été de ceux ayant contribué à l’arrestation du capitaine Dreyfus. Et le 5 janvier 1895, il a assisté à la scène de son déshonneur et de sa dégradation militaire, en place publique. L’accusé, Juif alsacien dont l’aisance et la nature solitaire ne plaisaient guère, aurait échangé des informations secrètes avec l’Allemagne (gagnante de la guerre franco-prussienne de 1870). Et un courrier en serait la preuve.
Nommé chef d’une unité de contre-espionnage, le colonel Picquart découvre bientôt que les preuves contre Dreyfus, condamné à l’isolement sur l’île du Diable, ont été fabriquées et que le vrai fautif est le commandant Charles Ferdinand Walsin Esterházy. Pris entre l’obéissance à sa hiérarchie et sa conscience, l’honnête officier décide avec la fougue de ses 40 ans de faire libérer l’innocent.
Dilemme moral
Ses supérieurs l’envoient en périlleuse mission en Tunisie pour le tenir au silence. Rien n’y fait. De retour, l’exilé, mondain très lettré, contacte et parle avec les «dreyfusards», dont l’écrivain Émile Zola qui publie l’indélébile «J’accuse» dans le journal «L’Aurore», y livrant tous les détails du complot !
«Sans cette rencontre-clé, l’Histoire ne se serait pas écrite», souligne Jean Dujardin.
Mais Picquart s’est lui aussi inscrit dans la bravoure pour la postérité. «Il n’y aurait pas eu d’affaire Dreyfus sans lui. Il a effectué un travail de détective et a dû affronter un dilemme moral», note Robert Harris, auteur de «An Officer and a Spy», roman basé sur les faits réels. «Ce que ce militaire ressentait, c’était la fidélité à la loi, à la rationalité et surtout à la justice. Je ne pense pas qu’il aurait pu vivre avec lui-même s’il n’avait pas réagi.»
Ni fleurs ni couronnes
Peut-être le jeune colonel voulait-il aussi apaiser sa conscience. Car à la fin du XIXe siècle, les catholiques français comme lui étaient antisémites. «Au fur et à mesure que Picquart trouve les preuves de l’innocence du bafoué, il regarde son antisémitisme en face et le combat», ajoute Harris dans The Guardian. «Je crois vraiment qu’un antisémite n’en aurait pas fait autant, dont se lier d’amitié avec le frère de Dreyfus, Mathieu.»
Emprisonné, il sera réhabilité en 1906 et nommé Général. À sa mort suite à un accident de cheval en 1914, ses dernières volontés dévoilées reflèteront son honorabilité : «ni cérémonie, ni discours, ni fleurs, ni couronnes.» L’incorruptibilité de ce lanceur d’alerte avant la lettre restera sa seule médaille.
Cet article est paru dans le Télépro du 22/6/2023
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