Génération désenchantée

Aujourd’hui, les jeunes ont besoin de trouver du sens à leur travail et de se sentir utiles © Getty Images
Alice Kriescher Journaliste

«Les jeunes de nos jours» désertent le monde du travail. C’est en tout cas ce que suppose une tranche de la population. À tort ou à raison ? Le magazine d’Arte «27», consacré aux débats dans l’Union européenne, tente de répondre à cette question.

Aujourd’hui, les jeunes qui viennent d’entrer sur le marché de l’emploi ou qui s’apprêtent à le faire n’ont définitivement pas bonne presse auprès des plus âgés. Dilettantes, voire démissionnaires, tatillons quant à leurs conditions de travail, leur rémunération ou les valeurs de leur entreprise, les reproches pleuvent sur les nouvelles générations de salariés. Une question demeure alors : les jeunes ont-ils encore envie de travailler ?

Fossé des générations…

Si l’incompréhension intergénérationnelle face à la «valeur travail» existe depuis longtemps, les jeunes ont rarement été autant pointés du doigt pour leur supposée «fainéantise». Et quand on parle de jeunes, nous entendons les plus jeunes de la génération dite Y, soit celle née entre 1980 et la fin des années 1990 et, les plus âgés de la génération Z, comprise entre 1997 et 2010. Chez nous, que disent les chiffres ? Actuellement, en Belgique, un jeune sur dix âgé entre 15 et 29 ans n’est ni étudiant, ni en formation, ni travailleur. Cela étant dit, pour ceux qui se sont lancés dans la vie professionnelle, l’avenir n’est pour autant pas tout tracé. Selon le secrétariat social belge Acerta, qui s’appuie sur les données issues de plus de 30.000 employeurs, les départs volontaires croissent parmi les plus jeunes recrues. «Quelque 11 % de tous les contrats de travail des jeunes de moins de 25 ans ont déjà été rompus de janvier à août 2022, selon l’organisme. C’est plus du double (+ 136 %) par rapport à l’année dernière et près du triple (+ 181 %) par rapport à la période précédant la crise du coronavirus», détaille Le Soir. «Près de la moitié des départs (47 %) surviennent à l’initiative du travailleur et 36 % des contrats sont rompus d’un commun accord, seuls 17 % sont le fait d’un licenciement.»

Le code a changé

Mais comment est-on passé de l’idée enthousiasmante de réaliser toute sa carrière dans la même entreprise à cette apparente frivolité ? Plusieurs pistes. La première est l’inversion d’un rapport de force entre l’employeur et l’employé. «Désormais, nous sommes dans l’obligation de séduire les recrues potentielles», confiait un DRH au Soir. «Pour certains profils très recherchés, c’est sur les bancs des hautes écoles et des universités que nous devons nous vendre, au risque sinon de ne plus trouver de candidats…» Ensuite, un aspect plus sociologique et philosophique est également à prendre en compte. Face à un avenir incertain, la jeunesse est d’accord de travailler, mais à condition d’y trouver du sens. «Les jeunes ont différentes sphères de vie où le travail est moins central, même s’il reste important. Il y a une notion de rééquilibrage et une forte attente de sens : respecter ses valeurs, se développer et faire quelque chose d’utile», explique Maëlezig Bigi, docteur spécialisée dans la sociologie du travail, sur France Culture.

Effet pandémie…

Enfin, l’actualité de ces dernières années, la pandémie en tête, a eu un impact fort sur le rapport qu’ont les jeunes au travail. «La crise sanitaire a marqué un tournant», poursuit Jérémie Peltier, auteur et chroniqueur pour le journal Marianne. «Il y a eu comme une relativisation de la place du travail dans la vie des jeunes. Il est moins statutaire, moins identitaire. La dimension sacrificielle existe beaucoup moins qu’avant.»

Le saviez-vous ?

  • Depuis la fin des confinements dus au covid, les États-Unis ont assisté à ce que l’on a qualifié de «grande démission». Soit, des vagues de démissions professionnelles, plus particulièrement dans le monde de la restauration et du commerce. En 2021, environ 47 millions d’Américains ont démissionné de leur poste, soit plus d’un quart de l’emploi salarié du pays.
  • Le terme bore-out, dérivé de burn-out, qualifie un syndrome d’épuisement professionnel lié à l’ennui au travail. Tandis que le brown-out s’apparente à des difficultés psychologiques associées à la perte de sens dans le monde du travail.

Cet article est paru dans le Télépro du 5/01/2023.

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