Foot et homophobie : carton rouge pour un coming out
Lutter contre les antihomos du foot est un combat de tous les instants pour les ex-joueurs français Yoann Lemaire et Ouissem Belgacem. Portraits croisés.
Face à une classe de lycéens, à Saint-Laurent (Charleville-Mézières), Yoann Lemaire (39 ans) se présente. «Je viens vous parler d’un sujet tabou : l’homosexualité. Comme vous, j’ai été jeune, j’ai été à l’école et j’ai joué au foot. J’ai pris des cartons rouges pour des bagarres. Je ne supportais pas que l’attaquant me dise sans arrêt « petite tarlouze », « petit pédé »… Ces insultes que vous connaissez, on se les dit souvent, mais la différence, c’est que je l’étais. Il existe des joueurs de foot homos chez les pros. En Ligue 1, il y a des gays, ils ne le disent pas par peur. Le but est de se remettre tous en question. Cela ne changera pas votre vie que votre pote, coéquipier ou cousin soit homo. Par contre, si vous vous moquez de lui, ça changera la sienne.»
Derrière la caméra, Michel Royer filme les réactions des élèves pour le «Footballeur et homo : au cœur du tabou», diffusé ce lundi à 21h05 sur La Trois. Neuf ans après un documentaire plus général sur le sujet, le réalisateur suit Yoann, ce footballeur ardennais renvoyé par son club de Chooz, en 2010, après avoir fait son coming out.
Champions en renfort
Après son exclusion, à 28 ans, il a été invité à rejoindre le Variétés Club de France. «J’y étais le bienvenu ! Arrivé dans le vestiaire, j’ai vu toutes ces stars : Karembeu, Giresse, Pirès, Barthez, Deschamps…»
Le manager général Jacques Vendroux leur a raconté l’histoire de Yoann. «À la fin, ils se sont tous levés et l’ont applaudi», sourit-il. Et le militant d’expliquer : «À force d’en parler entre nous, il y a eu une vraie prise de conscience individuelle, puis collective.» Toutes ces stars du ballon rond témoignent dans ce documentaire, ainsi que le joueur du FC Barcelone, Antoine Griezmann.
Le nouveau Zidane
Au contraire de Yoann, Ouissem Belgacem (33 ans), d’origine tunisienne, n’a jamais révélé son homosexualité lorsqu’il portait les crampons. Il évoque avec courage son parcours de joueur pro homo dans «Adieu ma honte» (*). «J’ai décidé d’en parler lorsque j’ai rencontré à nouveau de l’homophobie via ma société qui accompagne des footballeurs avant et après leur carrière. Ce livre doit servir un combat de tous les instants», confie-t-il au magazine So Foot.
Issu d’une cité d’Aix-en-Provence, Ouissem rêvait, enfant, d’être le nouveau Zinedine Zidane. Repéré, il entre, à 13 ans, au centre de formation de Toulouse. Cinq ans plus tard, il rejoint l’équipe nationale tunisienne pour la Coupe d’Afrique des nations.
Infiltré chez les hétéros
Au bout de longues années de souffrance psychologique, le joueur lâche prise. «J’ai toujours été un infiltré parmi les hétéros du foot. Pas une fois, je n’ai entendu un discours positif sur les homos par un entraîneur, un président… Dans les vestiaires, les propos étaient dégradants vis-à-vis des femmes et des homos. Impossible de faire mon coming out, ma situation m’a consumé de l’intérieur. J’étais rejeté, j’entendais des discours négatifs partout. D’abord au sein du club. Puis quand j’allais à la mosquée où l’imam rappelait que l’homosexualité était un péché et enfin, dans mon quartier. Au début, j’ai pensé pouvoir changer ce penchant pour les hommes. Mais il est impossible de modifier son orientation sexuelle.»
Exilé à Londres, devenu entrepreneur, il s’est réconcilié avec lui-même.
(*) À lire «Adieu ma honte», Ouissem Belgacem, 252 pages, 18 € (Fayard)
Cet article est paru dans le Télépro du 27/5/2021
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