Finance : des dragons chez les requins
Les femmes ne représentent que 3 % des PDG de la finance. Pas simple de bosser dans cet univers ultra masculin…
Adeline, Alison, Laetitia, Martina, Jennifer… Entre Londres et Hong Kong, ces cinq femmes brassent des milliards. Elles travaillent dans le milieu ultra masculin de la haute finance. La réalisatrice bruxelloise Frédérique de Montblanc les a rencontrées. Son documentaire, «Dragon Women», est diffusé samedi à 23h10 sur La Trois.
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de ce film ?
J’ai rencontré une des femmes du film chez des amis en commun alors qu’elle venait d’être nommée managing directeur. Elle était heureuse, mais aussi amère. Parce que son boss avait tiré la couverture à lui. C’est elle qui était promue, mais c’est à lui que semblait revenir le mérite. Il se félicitait d’avoir choisi une femme. Elle avait l’impression d’être utilisée comme un trophée. Pour donner une impression de diversité dans sa boîte. Alors que les femmes sont à peine 3 % dans les hautes sphères de la finance.
Votre documentaire s’appelle «Dragon Women», pourquoi ?
C’est le surnom que donnent les hommes aux femmes qui réussissent dans ce secteur. Elles ont la réputation de tout brûler sur leur passage.
Elles ont de sacrées personnalités…
Comme les femmes sont rares à ce niveau de pouvoir, elles travaillent exclusivement avec des hommes. Au fil du temps, elles adoptent donc leur manière d’être et de penser. Dans ce milieu, les hommes sont directs, arrogants, parfois agressifs. Pour interagir avec eux, les femmes adoptent ces codes masculins.
Cela se voit aussi dans leur tenue vestimentaire : elles portent souvent le tailleur deux-pièces et la chemise blanche. Il suffit de penser à Christine Lagarde, aujourd’hui patronne de la Banque centrale européenne après avoir été la directrice du FMI…
La question de l’apparence est compliquée. Une femme m’a expliqué qu’un de ses collègues lui avait dit un jour : «Tu ne ferais pas un peu de botox ? Ça commence à pendouiller…» Dans ce milieu, les hommes attendent des femmes qu’elles aient une apparence nickel. Mais il n’est pas question pour les femmes d’en faire trop. Si elles mettent une robe noire, c’est avec un col ras du cou. Il faut être toujours impeccable, mais suffisamment sobre pour en imposer et ne pas distraire.
Elles ne veulent pas être dans la séduction…
Non. Mais là aussi, c’est délicat. Parce qu’il faut séduire pour convaincre, pour faire passer ses idées. Cependant, les enjeux économiques sont tels qu’il faut éviter tout malentendu. Adeline, qui bosse entre Hong Kong et Singapour, m’expliquait qu’elle n’organise des repas professionnels en tête-à-tête qu’à l’heure de midi. Le soir, elle craint que les hommes y voient une ambiguïté.
Dans votre film, on suit le parcours de cinq femmes qui ont de très hautes responsabilités, mais aucune n’est au sommet de la pyramide. Aucune n’est PDG. Pourquoi ?
Les femmes qui sont à ce stade de pouvoir envisagent déjà la suite de leur carrière. Dans une grosse institution internationale ou en politique. Elles préfèrent donc rester discrètes. J’ai approché Christine Lagarde. Elle aurait répondu à quelques questions, mais elle ne m’aurait laissé aucun accès à son intimité.
En effet, vous posez à ces femmes la question de la vie privée. Et notamment de la maternité !
Beaucoup considèrent qu’un congé de maternité serait une catastrophe pour leur carrière. D’autant qu’elles ont face à elles des hommes dont les épouses ne travaillent pas, dont les mères ne travaillaient pas. Ils n’ont aucune empathie sur ce sujet. Laetitia dit parfois à ses collègues masculins : «Et si c’était votre fille, vous trouveriez normal qu’elle ne puisse pas faire sa vie ?»
Cet article est paru dans le Télépro du 3/11/2022
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