Fictions dystopiques : des bombes à retardement ?

George Orwell et Aldous Huxley avaient anticipé une bonne partie des dérives de la société © Arte

Romans et films qui se projettent non pas dans un futur utopique, idéal et rassurant, mais dans une dystopie, un monde sombre, ne sont-ils que bobards ou mises en garde ?

Les récits relatant un avenir effrayant sont de plus en plus plébiscités par le public, qu’il soit lecteur ou cinéphile. Ainsi observe-t-on un actuel engouement pour le film «Contagion» (Steven Soderbergh, 2011), contant la lutte de scientifiques et dirigeants pour tenter d’enrayer un virus qui décime la planète…

Parmi d’autres dystopies, deux classiques, «1984» de George Orwell (1949) et «Le Meilleur des mondes» d’Aldous Huxley (1932), s’écoulent toujours à des milliers d’exemplaires. Arte revient, mercredi à 22h40, sur ces auteurs et leurs romans qui oscillent entre science-fiction et prophéties exactes.

Privation des libertés

Ces livres sont troublants. Celui d’Huxley met en scène un monde qui censure la copulation, crée des bébés en incubateur et programme leur destin. Il en ressort quatre catégories d’humains. Dans les castes supérieures, les Alpha, beaux, grands, malins, sont l’élite. Les Beta sont des travailleurs intelligents, mais dociles. Les castes inférieures regroupent les Gamma, classe moyenne, tandis que les Delta et Epsilon, petits et laids, ont des jobs manuels simples. Voilà qui permet aux dirigeants d’avoir une société a priori parfaitement contrôlable.

Le texte d’Orwell propose, lui, un univers où les êtres sont constamment surveillés, jusque dans leurs pensées. Big Brother, présent sur des écrans constamment allumés dans les rues et les foyers, veille au grain et la liberté d’expression n’existe plus…

À leur parution, les romans choquèrent, mais restèrent, aux yeux de la majorité, des allégories faisant allusion, avec exagération, aux possibles dérives des velléités totalitaires de l’époque.

Spéculations inquiétantes

Aujourd’hui, ils sont encore sujets à débat. Pour d’autres raisons : leurs auteurs avaient pressenti une bonne part de ce qui constitue notre société moderne. On y retrouve les désirs de perfection, le rejet des faiblesses et différences, l’omniprésence des écrans qui stockent quantités d’informations sur notre intimité, nos préférences et aversions. Caméras, mouchards dans nos portables et technologies de reconnaissance faciale grignotent les libertés.

Au point que Margaret Atwood (80 ans), elle aussi auteure de dystopies – dont «La Servante écarlate» qui imagine l’asservissement total des femmes -, préfère désormais décrire ce genre d’œuvres comme «des fictions spéculatives qui pourraient vraiment se produire». Loin de vouloir jouer le catastrophisme, elle confie : «Il est triste de voir qu’à notre époque, nous sommes désormais enclins à croire plus facilement aux dystopies qu’aux utopies.»

Même l’écologie

Certaines autres créations collent hélas à ses propos. Les films «Soleil vert» (1973) «Le Jour d’après» (2004), «Seven Sisters» (2017) ou «Dans la brume» (2018) sont des «éco-dystopies» édifiantes où pollution, vénalité et manque de vigilance conduisent à des épilogues désastreux pour l’écologie et le climat.

Cependant, le but premier de ces fictions n’est pas de terroriser tout un chacun, mais de réfléchir aux mesures à prendre pour redresser la barre du navire qui tangue. George Orwell déclara à la sortie de son livre : «La morale de cette situation de cauchemar est simple. Ne laissez pas cela arriver. Cela dépend de vous.»

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 5/11/2020

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