Excision : la révolte des filles
Née en France de parents sénégalais, Halimata a été excisée à l’âge de 5 ans. Son histoire est celle de beaucoup d’autres femmes, qui cherchent à se forger une identité, entre éducation traditionnelle et soif d’émancipation.
Dans «À nos corps excisés» (mercredi à 22h35 sur Arte), Halimata Fofana, éducatrice à la Protection judiciaire de la jeunesse d’Évry (près de Paris) et coautrice du documentaire réalisé par Anne Richard, revient sur son histoire personnelle et dialogue avec sa mère sénégalaise. Un éclairage inédit sur un sujet tabou, mêlant récit intime et réflexion identitaire.
Halimata Fofana, que vouliez-vous raconter à travers ce documentaire, après avoir déjà écrit un livre traitant de l’excision en 2015 ?
Après la sortie de «Mariama, l’écorchée vive», j’ai participé à de nombreux reportages sur ce thème. J’avais malheureusement le sentiment qu’ils passaient toujours à côté du cœur du sujet, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles les mères, elles-mêmes victimes de cette mutilation et de cette douleur atroce, reproduisaient ce qu’elles avaient subi. Dans ces sujets, on ne les montre jamais, comme si elles étaient des monstres. Dans un contexte donné, elles ont pourtant cru bien faire. À leur arrivée en France, nos parents ne maîtrisaient ni la langue ni l’écriture. Leur culture était leur seul repère, d’où leur très fort attachement aux traditions. Tout cela, j’ai essayé de le comprendre.
Pourquoi avoir ponctué le récit de conversations enregistrées avec votre mère ?
C’était justement une façon de l’humaniser. Même si elle n’apparaît pas à l’image – elle ne le souhaitait pas et j’avais également des réticences de crainte qu’on ne la juge –, ma mère réalise un cheminement énorme au cours de ces conversations qui se sont étalées sur plusieurs mois. Au départ, elle ne voulait même pas que je prononce le mot «excision» ; aujourd’hui, elle affirme qu’elle ne la souhaiterait pas pour ses petites-filles. Il faut se représenter la puissance du tabou qui pèse sur cette réalité. Dès l’âge de 5 ans, j’ai compris que je ne devais pas en parler, sans même qu’on ait besoin de me le formuler. Mon premier livre a été un cri.
Le film est également traversé d’une introspection identitaire…
J’ai dû me construire une identité propre, à la fois en tant que Française et en tant que femme ayant subi une mutilation qui retire le plaisir féminin. D’un point de vue culturel, lorsque vous vivez entre deux mondes, vous vous demandez en permanence auquel vous appartenez. Dans mon deuxième livre (*), je parle de cette déchirure. Cela a pris du temps, mais j’ai appris à vivre en paix avec mes différentes patries : la France, qui m’a vu naître, le Canada, où j’ai vécu pendant plusieurs années, et le Sénégal que j’ai reçu en héritage.
Où en est la prévalence de l’excision ?
On constate qu’elle régresse dès que les filles ont accès à l’école, mais la crise due au covid a porté un coup d’arrêt aux baisses enregistrées : avec l’enfermement et la fermeture des lieux publics, les gens se replient sur les croyances. De façon globale, elle diminue néanmoins, même s’il subsiste des poches de résistance, notamment en Égypte, Indonésie, Guinée ou au Mali. Au Sénégal, la pratique recule, en partie parce que l’excision est pénalisée et que les gens craignent la prison.
(*) «À l’ombre de la cité Rimbaud», à paraître le 24 août 2022 aux Éditions du Rocher
À lire : Halimata Fofana, «Mariama, l’écorchée vive», 2015, 15 € (Éd. Karthala)
Entretien : Laetitia MØLLER
Cet article est paru dans le Télépro du 21/7/2022
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