États-Unis : les livres au feu, la liberté au milieu
Aux États-Unis, un mouvement réactionnaire contraint les bibliothèques à faire disparaître des milliers de livres. Un sujet évoqué ce mardi à 23h50 sur Arte avec le documentaire «USA, la guerre des livres».
Au cours de l’année 2023, plus de dix mille titres ont été retirés des bibliothèques des écoles publiques américaines. Le chiffre a été publié fin septembre par Pen America, une association dédiée à la protection de la liberté d’expression. Comme d’autres, elle tire la sonnette d’alarme. Car cette censure, portée par la flambée des valeurs conservatrices, ébranle les bases mêmes de la démocratie. Un constat édifiant que l’on retrouve aussi dans « USA, la guerre des livres », le documentaire proposé mardi par Arte.
Berlin, 1933
10 mai 1933. À Berlin et dans une vingtaine d’autres villes allemandes, des milliers d’étudiants sortent à la nuit tombée pour jeter des livres au bûcher. La cérémonie a été savamment orchestrée par Goebbels, le chef de la propagande d’Adolf Hitler, arrivé au pouvoir quelques semaines plus tôt. De Bertolt Brecht à Stefan Zweig, en passant par Marx et Freud, il s’agit de faire disparaître par le feu les auteurs « contraires à l’esprit allemand ». Entendez : Juifs, gauchistes, pacifistes… Un siècle plus tard, le phénomène se reproduit aux États-Unis, avec les mêmes arguments : « contre la décadence et la corruption morale », « pour la protection de la communauté nationale »…
Tom Sawyer
Depuis deux ou trois ans, des États républicains obligent les écoles à bannir toute une série de livres. De la maternelle à l’université, les bibliothécaires ont donc été contraints de faire du tri. À certains endroits, des piles de livres ont été posées parmi les ordures, sur le trottoir. À d’autres, ils ont été incendiés au lance-flamme pour produire une vidéo choc sur les réseaux sociaux. Les livres consacrés aux LGBTQIA+ sont les premiers concernés. Mais parmi les auteurs bannis, on trouve aussi Toni Morrison, la première Afro-Américaine prix Nobel de littérature, qui a notamment abordé la question de l’esclavage et des droits civiques. De même qu’Amanda Gorman, la poétesse noire qui avait impressionné lors de l’investiture de Biden en évoquant l’assaut du Capitole par les partisans de Trump. Mais aussi « Le Journal » d’Anne Frank, « La Servante écarlate », de Margaret Atwood et « Les Aventures de Tom Sawyer », de Mark Twain.
Make America Great Again
Que reproche-t-on à ces livres ? De nuire à l’innocence des enfants. Il s’agirait de protéger les plus jeunes de la corruption, de la violence et la pornographie. En soi, l’idée peut paraître louable. Mais son interprétation prête à toutes les dérives. Ainsi certains sont-ils allés jusqu’à remettre en cause le dictionnaire sous prétexte qu’on y trouve la définition de mots comme « sexe »…
Derrière cette volonté affirmée de défendre la famille américaine, les analystes perçoivent surtout un mouvement éminemment politique. Celui d’une Amérique blanche, chrétienne et nationaliste boostée par le « Make America Great Again » de Donald Trump. Car sous prétexte de protéger l’innocence des enfants, il s’agirait surtout de les protéger des idées de gauche ainsi que de l’influence des minorités.
Lire pour grandir
« Les élèves ont besoin d’avoir accès à des livres qui reflètent un large éventail d’expériences humaines pour apprendre et grandir », martèlent aujourd’hui les grands éditeurs américains. D’autres rappellent la phrase de l’auteur allemand Heinrich Heine : « Là où l’on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes. » C’est la phrase gravée à Berlin, sur le mémorial des autodafés de 1933…
Cet article est paru dans le Télépro du 24/10/2024
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